dimanche 2 septembre 2012

Critique : Elle s'appelle Ruby : Et si l'homme avait créé la femme ? (03/10/12)

Elle s'appelle Ruby (Première à Deauville)
De Albert Berger et Ron Yerxa
Avec Paul Dano, Zoe Kazan, Antonio Banderas, Annette Bening, Steve Coogan

Calvin est un écrivain talentueux. Son premier roman est devenu un succès public et critique alors qu'il n'avait que 19 ans. Mais plus le monde crie au génie, plus Calvin se renferme, devient asocial et souffre du syndrome de la page blanche depuis que son second roman est attendu comme le Messie. Il rêve alors d'une jeune femme aux cheveux incandescents et au sourire enjôleur. Calvin imagine alors qui pourrait être sa compagne idéale, son grand amour, celle qui pourrait l'accepter tel qu'il est et non pour l'écrivain célèbre qu'il est. Lorsqu'il pense à l'inconnue de ses rêves, ses doigts se délient sur sa machine à écrire (l'ordi, connaît pas !) et l'inspiration est libérée : Ruby est née. Tellement aimée qu'elle surgit un jour de pages de son livre pour entrer "pour de vrai" dans sa vie...

"Je ne suis pas ton enfant !"

20th Century Fox
N'y aurait-il pas un peu de Guillaume Musso dans les écrits de Mademoiselle Kazan ? Car l'écrivain français avait déjà écrit en 2010 l'histoire d'un personnage imaginé qui se matérialise pour prendre vie sous les yeux de son créateur dans La Fille de papier. Mais contrairement à la fille inventée par Musso, Ruby n'a pas besoin de son inventeur pour survivre à un maladie parce que celui-ci n'a pas fini son livre. Au contraire, il va s'apercevoir qu'elle va s'épanouir sans lui. Et c'est ce qui va finir par lui poser problème...

20th Century Fox
Zoe Kazan (qui a aussi brillamment écrit le scénario) s'est inspiré du mythe grec de Pygmalion et Galatée dans lequel un sculpteur tombe amoureux de son œuvre, ou encore de Frankenstein de Mary Shelley, qui voit ce qu'elle a créé prendre vie. Elle entame ainsi une réflexion fine et drôle sur le fantasme de voir que celui qu'on aime correspond à son propre imaginaire, l'importance de individualité dans le couple et l'identité de façon.


20th Century Fox
Lorsque Calvin s'aperçoit que Ruby est devenue chair et os, il perd complètement ses repères, se croit fou et finit par admettre l'inadmissible. L'intérêt de la scénariste est non pas de savoir comment cette jeune femme s'est retrouvée là, mais savoir comment les choses vont tourner à partir de ce point de départ. Par ses mots, Calvin dépeint par ses mots la femme idéale, lui donne des attributs précis que lui-même désire sur le plan amoureux. Mais bien évidemment les choses se compliquent parce lorsqu'on aime quelqu'un, on l'aime dans sa globalité, pas simplement pour les parties qu'on a idéalisées.

20th Century Fox
Dans la réalité, Ruby s'épanouit telle une femme libre car Calvin l'a créée comme une individualité à part entière. Elle a une véritable soif d'être elle-même. Mais cette liberté, Calvin lui fait peur; il la désire tellement qu'il en devient nerveux. (attention SPOILER- surligner pour lire) Donc lorsqu'il s'aperçoit qu'il peut la modifier à volonté, il devient incontrôlable et Ruby perd ses repères et ne sait plus à quelle réalité se raccrocher. Elle finit par devenir un objet, un esclave qui réagit au moindre désir de celui qui est censé l'aimer pour ce qu'elle est, cet être devenu totalement égoïste et manipulateur, corrigeant le moindre changement chez celle qu'il aime (Fin SPOILER). Mais Calvin veut être heureux pour ce qu'ils s'apportent mutuellement et vivent ensemble, et non pas parce qu'il l'écrit. Le scénario tient dans l'intégrité et l'humanité qui existe chez Ruby et dans le fait que Calvin est finalement obligé de mûrir pour être à la hauteur de sa force et de son évolution à elle. Ce n'est que lorsque Calvin accepte de se défaire de ses idéaux sur Ruby et ce qu'elle devrait être, qu'il trouve enfin ce qu'il cherchait.

20th Century Fox
Réalisé par le couple à la barre de Little Miss Sunshine, et joué par un couple à la ville comme ici à l'écran. En voilà une affaire de sentiments ! Les deux tourtereaux crèvent littéralement l'écran. Elle est lumineuse, énergique et colorée (ses vêtements n'en sont pas la seule raison...), lui a un véritable sens comique (peu exploité jusque-là) qu'on aimerait voir développé. Tous deux dégagent une force émotionnelle d'une intensité rare, et leur complicité naturelle renforce l'ensemble. Et que dire de la scène très hippie et débridée (façon Barbara Streisand et Dustin Hoffman dans Mon Beau-Père et moi) jouée par un Antonio Banderas et une Annette Bening en grande forme ! Un poil trop clichés pour être convaincants à mon sens... Quant à la BO, elle a de quoi surprendre : celle-ci passe de Schubert à Plastic Bertrand (sic) et d'autres titres français, appelés "heureux accidents choisis par les réalisateurs" par Zoe Kazan, grande fan de la culture française (cocorico) lors d'un entretien public (accompagné de Paul Dano) donné à Deauville (publiée ici).

En résumé : un GROS coup de cœur ! Le film livre une réflexion inattendue et pleine de surprises sur l'imaginaire, la quête de soi et la manière dont nous inventons l'amour. Une grande réussite pour une jeune scénariste qu'on espère revoir à l'œuvre.


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