dimanche 8 septembre 2013

[Critique] Le Majordome : une leçon d'Histoire poignante mais classique (11/09/13)

© Metropolitan FilmExport
LE MAJORDOME
De Lee Daniels
Avec Forest Whitaker, Oprah Winfrey, David Oyelowo, Cuba Gooding Jr, Terrence Howard...

Sortie le 11 septembre 2013

Cecil Gaines est un Noir américain devenu majordome, et qui a passé sa vie à servir huit présidents successifs à la Maison Blanche. Durant cette période, il a été le témoin dans l'ombre de la lutte d'un peuple : celle pour la reconnaissance des droits de la communauté noire aux États-Unis.

"E pluribus unum"


Si Lee Daniels est considéré comme un réalisateur subversif, provocateur, voire racoleur (on se souvient de Precious et surtout de Paperboy), il n'en est rien avec Le Majordome. Le cinéaste surprend avec une œuvre élégante, sans images scabreuses, au ton résolument pédagogique et formel. Grâce au personnage de Cecil Gaines -- double cinématographique d'Eugene Allen, majordome qui a passé 34 ans au service des hommes les plus "puissants du monde", de Eisenhower à Reagan -- le cinéaste permet de s'approprier l'Histoire d'un pays à travers le regard privilégié d'un homme du peuple.... d'un peuple, qui a fait face aux humiliations et à la cruauté du racisme. Pour autant, le film n'est pas une biographie : Daniels a pris quelques libertés quant à certains faits, qui ont été plus ou moins modifiés voire inventés pour coller à l'évolution de l'Histoire. Ségrégation, Freedom Riders, Martin Luther King, Black Panther Party, grandes manifestations et Ku Klux Klan... le film embrasse fidèlement les grandes étapes du mouvement, au risque parfois de les survoler. Mais il parvient à enraciner son discours dans des personnages de chair et de sang.


"Êtes-vous politisé, Mr Gaines ? Nous n'avons aucune tolérance pour la politique à la Maison Blanche"


Fort de son contexte, Le Majordome soulève de nombreuses questions et cristallise l'ironie de certaines situations. Cet homme, élevé comme esclave dans un champs de coton, qui a vu son père mourir sous la balle tirée par un blanc, va finalement trouver sa place dans la société et s'élever socialement en travaillant... pour des Blancs. Dès le départ, on lui apprend à se taire, à ne pas se rebeller contre l'autorité suprême du maître blanc. Dès son embauche à la Maison Blanche, on lui répète "vous n'entendez rien, vous ne voyez rien, vous servez seulement". Il en vient à devenir une ombre parmi la horde de petites mains noires du palais présidentiel. 
Il sait se rendre indispensable et se fait apprécier pour sa discrétion et ses valeurs humaines. Mais il en paie le prix fort. Il va renier toute conscience politique pour garder son job, et rejeter tout activisme grandissant chez les Afro-Américains, quitte à s'éloigner de son propre fils. Il n'est dupe de rien. Mais on peut se demander si Cecil (re)devient un esclave cette fois-ci consentant de par le fait d'avoir été façonné toute sa vie à l'être. Ou si, au contraire, il fait partie de ceux qui ont fait bouger les mentalités "en sous-marin", sans vraiment le savoir. Le Dr Martin Luther King (interprété par le "Lafayette" de True Blood) affirme dans le film que "Les domestiques noirs jouent un grand rôle dans notre Histoire" car ils ont la possibilité de faire naître chez ceux pour qui ils travaillent, un élan de sympathie et de compréhension, et de développer un lien réel menant à l'acceptation de l'autre comme égal humain. Et Cecil en est le parfait exemple...

Un réalisateur qui règle ses comptes ?


Si la forme est didactique et le chemin emprunté direct, le fond se veut être une révolte contre ce qui a été une atrocité pour tout un peuple. Daniels met l'Amérique face à son histoire avec des scènes parfois difficiles et violentes dans leurs propos pour marquer la cruauté d'une époque injuste. L'idéologie véhiculée est d'une grande complexité, sans pour autant oublier les émotions, non feintes et non dégoulinantes. Il préfère raconter sans juger, laisser l'Amérique faire son propre procès et emprunter le douloureux chemin de la rédemption (si chère au cinéma américain). Dans un récent entretien au New York Times, Forest Whitaker affirmait : "Il y a quelque chose qu'on ne dit pas : pourquoi ces histoires ne sont-elles pas traitées davantage ? Parfois les gens ont peur de regarder en face ce qui se passe(...) Le fait est que beaucoup des problèmes sociaux (montrés dans le film) sont encore d'actualité". Et Oprah Winfrey d'ajouter : "Pourquoi faut-il raconter cette histoire ? Pourquoi devons-nous continuer à interpréter des domestiques ? Parce que c'est arrivé et que sans eux, aucun d'entre nous ne serait ici aujourd'hui. Ma mère était domestique, ma grand-mère était domestique et sa mère était domestique".

Cette tension entre le progressisme silencieux de Gaines et l'engagement dans la lutte de son fils fera oublier les fautes d'esthétisme dans l'image et la lumière (sans parler de l'affreux maquillage qu'arbore Oprah Winfrey à la fin), et la grandiloquence de certaines scènes, un peu trop théâtralisées (surtout le final jouant à fond les violons pour un Happy End attendu). 
Et pourtant, quel casting ! Forest Whitaker est d'une justesse impeccable. David Oyelowo, déjà dans Paperboy, incarne parfaitement cette jeunesse en révolte. Et Oprah Winfrey, loin de la diva des talk-shows est bluffante en hédoniste coincée entre le destin des hommes de sa vie -- on se demande bien pourquoi elle n'a pas continué le cinéma après son rôle de Sofia dans La Couleur Pourpre ! On retrouve avec grand plaisir le reste du casting (avec quelques choix surprenants -- comme Alex Pettyfer ou James Marsden -- et d'autres habitués à travailler avec Daniels -- comme Mariah Carey et Lenny Kravitz)... même si certains n'ont que quelques répliques. 


En résumé : Un film chargé en émotions, mais tout en retenue, classique avec une véritable vision d'auteur pour raconter un destin exceptionnel.





Messages les plus consultés