jeudi 22 septembre 2011

Critique : We Need to talk about Kevin : une vie en enfer (28 septembre)

We Need to talk about Kevin est un film aux vertus... contraceptives : il a de quoi refroidir toutes les femmes qui hésitent à devenir maman ! Il faut l'avouer, le film met en scène un enfant terrible, un véritable petit diable au sens propre du terme, et qui deviendra le plus monstrueux des ados. Face à lui, une mère désemparée, rejetée, humiliée, incapable d'accéder à l'instinct maternel. Et pour cause !

 De quoi ça parle ?
Kevin est un enfant au départ désiré... sous le coup de l'émotion. Dès sa naissance, sa mère le rejette, comme incapable de s'occuper d'un être vulnérable. Mais vulnérable, Kévin ne le restera pas longtemps. Il développe une réelle aversion pour sa mère, devenant insupportable, même sadique au plus au point. Eva, sa mère, ne sait plus comment tirer de lui une once d'humanité, alors qu'il se comporte comme un parfait petit chérubin devant son père (John C. Reilly). Plus il prend de l'âge, plus cette aversion se transforme en une haine viscérale, sans retour possible. Jusqu'où Kévin est-il capable d'aller pour faire enrager sa mère ? Jusqu'au crime le plus horrible...

Voilà un portrait d'enfant extra-ordinaire comme le cinéma en voit rarement. Inspiré du roman écrit par Lionel Schriver en 1999, We Need to talk about Kevin est un film sous forme de "règlement de compte à OK Coral" en bonne et due forme entre une mère et son rejeton. Rien est épargné à cette femme qui, dans son silence résolu, ne peut s'empêcher de réfléchir à sa culpabilité dans l'évolution tragique de son enfant. Elle se bat avec elle-même pour savoir quelle part de responsabilité elle a dans ce qu'est devenu son fils. Ou si elle a tout simplement mis au monde un monstre. Trop maladroite, trop aimante, trop impatiente... ou tout simplement pas faite pour être mère ?

Là où le livre n'était qu'une succession de lettres d'Eva à son mari, le film délaisse le côté psychologique pur pour un style visuel direct et souvent cru. La réalisatrice Lynne Ramsay (Ratcatcher, Voyage de Morvern Callar) en dérangera sûrement plus d'un. Construit sous forme de flash-backs incessants, ce long-métrage fait figure de collage visuel où différentes temporalités se mélangent... Passé, présent, tout est sans dessus dessous... Les dialogues se font rares pour que rien ne perturbe le cheminement de cette relation tordue, et pour comprendre pourquoi Kevin est devenu ainsi. A l'appui, un symbolisme autour de la couleur rouge omniprésente (un procédé un peu lourd au bout d'un moment), accompagné d'effets sonores répétés, comme pour appuyer le drame que vit cette famille. Cette première demi-heure déroutante, radicale, parfois rebutante pourra en larguer quelques-uns. Mais elle est indispensable. L'attente en vaut la peine !


La construction prend ensuite la direction d'un réalisation plus classique, stable, toute en gardant son esthétique léchée et son sonore d'arrosage de jardin, annonciateur de tragédie. Kevin (Ezra Miller), devenu ado, reste une énigme. Tant pour le spectateur que pour sa propre mère. Et quel acteur ! Agé de 18 ans, Ezra Miller déborde de charisme et attire avec son regard diaboliquement glaçant ! Ce jeune new-yorkais a une intelligence d'interprétation qu'on a du mal à imaginer chez un acteur de cet âge. Du grand art ! Il confirme mes premières impressions lorsque je l'ai découvert dans Another Happy Day (de Sam Levinson, dans lequel il joue aussi un ado en lutte permanente avec sa mère). Une véritable "Fucking attitude" naturelle, et lorsqu'il joue, l'espace de jeu n'appartient qu'à lui. Il crève l'écran ! Il ne laisse aucune chance à sa mère de cinéma, Tidla Swinton. Cette Écossaise au physique anguleux, voire androïde, est toute aussi fabuleuse en mère torturée. D'une scène à l'autre, elle matérialise l'angoisse absolue de cette mère assaillie par les attitudes et le visage terrorisant de son fils. Impliquée dans ce projet depuis de nombreuses années, Tilda Swinton incarne une femme émotionnellement paralysée, devenue asociale à cause du rejet du reste de son entourage (on comprend pourquoi à la fin). Incapable d'aimer malgré toute sa bonne volonté, elle ne sait pas exprimer ce qu'elle ressent. Point de rage, point de cris, ni de colère exultée. Et c'est bien là le problème... Rien ne se passe entre eux si ce n'est des regards, silencieux, remplis de haine et de sadisme. elle ne craque qu'à un seul moment : après avoir supporté un de ces nombreux caprices, elle finit par jeter son fils par terre. Moment terrible pour une mère. La cicatrice laissée par la chute fera dire à Kevin quelques années plus tard, droit dans les yeux de sa mère : "c'est la seule chose sincère que tu n'aies jamais faite". Dur !
Sans vouloir révéler la fin, on verra cette mère lâcher prise, épuisée par ce fils qu'elle a porté tant bien que mal. Son 18e anniversaire résonne comme la cloche de la liberté pour elle, et comme le glas d'un jeu d'enfant retors pour lui. Finalement, il a perdu...


En résumé : Une belle claque cinématographique ! Une guerre sans pitié, portée par des acteurs troublants de cruauté (même le jeune acteur qui incarne Kevin plus petit) dans une ambiance étouffante. Glaçant mais jouissif !

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