vendredi 31 août 2012

Critique : Compliance : Doit-on obéir à n'importe quel prix ? (26/09/12)

Compliance (en compétition à Deauville)
De Craig Zobel
Avec Ann Dowd, Dreama Walker, Pat Healey, Bill Camp, Philip Etinger, James McCafrey

De quoi s 'agit-il ?
Un vendredi soir dans un fast-food d'une banlieue de l'Ohio. C'est le "coup de feu", les clients se multiplient, le bacon et les pickles manquent... Le personnel fait tout ce qu'il peut pour faire face, lorsqu'un appel téléphonique bouleverse leurs habitudes et Sandra, le manager du restaurant. Au bout du fil : un policier, l'officier Daniels. Il accuse une employée d'avoir commis un vol au sein de l'établissement. Croyant l'officier sur parole, Sandra isole Becky d'après la description donnée par l'officier, et suit les ordres que ce dernier lui donne toujours par téléphone. Commence alors un jeu cruel, où manipulations perverses et complicité involontaire vont amener une situation rapidement incontrôlable…

"Je savais que cela finirait par arriver"


Inspiré par un fait divers sordide, on devine dès le départ que quelque chose ne tourne pas rond, et que Becky est en train de tomber dans un traquenard. Mais ce qu'on n'envisage pas, c'est que Sandra est la première prise au piège et devient le pire bourreau de Becky sans le savoir. Il serait dommage d'en dire plus car le suspense est de mise pour un effet maximum. 

Compliance dérange, oppresse, met mal à l'aise et fait hurler devant l'écran face à la suite de décisions que prennent les personnages, s'enfonçant toujours un peu plus dans l'abjection. A travers son oeuvre plutôt pessimiste en ce qui concerne la race humaine, Craig Zobel démontre à quel point il est facile de faire mal à quelqu'un, autant physiquement que moralement, si l'ordre nous est donné par personne à l'autorité "légitime". Et qui de plus apte à incarner cette autorité qu'un policier ! Et n'importe quel citoyen, aussi bon soit-il au départ, mais dépourvu de ses sens critique et des responsabilités, peut devenir le pire des salauds en obéissant à un quelconque commandement supérieur, et priver les autres de leurs droits les plus élémentaires. 


Il nous arrive souvent de vouloir tenir tête à un policier en cas d'infraction. Mais notre bon sens nous rappelle que les conséquences sont à prévoir. Zobel pose ainsi la question : faisons-nous toujours sans le remettre en question ce que nous demandent les forces de l'ordre ? Mais la capacité de réflexion sur ce genre de décision a disparu il y a longtemps chez Sandra. Cette quadra venue d'un milieu ouvrier, vit avec son père, à qui elle vient de demander la permission de se marier. Cette femme n'est clairement pas maîtresse de son destin. Elle a été élevée pour s'en remettre à l'autorité, pour renoncer à discerner par elle-même le bien du mal. Elle fait ce que l'officier lui demande, y compris quand ça la met mal à l'aise. Elle ne pense pas un instant que l'homme à qui elle parle au téléphone n'est pas ce qu'il prétend être. Pour elle, c'est avant tout une question de devoir. 



Quant à Becky, on se pose inévitablement la question : mais pourquoi n'a t-elle pas refuser les ordres de l'officier Daniels, d'autant que ceux-ci deviennent de plus en plus grotesques et farfelus ? Pourquoi ne pense-t-elle pas un seul instant qu'il ne s'agit pas d'un véritable agent de police ? Et c'est la que le pouvoir de la manipulation est le plus fort. Le manipulateur prend et retourne à son avantage tous les détails que ses victimes veulent bien lui donner inconsciemment. Il utilise une technique de vente tirée d'une dialectique plaisir-douleur. Son manège consiste à piquer au vif quelqu'un, puis le prendre de court en le rassurant ("C'est bien, vous faites du bon travail"). Bien mené, ce procédé peut complètement déstabiliser la personne et lui faire perdre tous ses repères. Et Daniels l'a compris mieux que personne ! 



Pat Healy, qui incarne ce fêlé au téléphone, s'est inspiré de l'émission Cops, qui suit le travail des policiers américains, notamment les arrestations musclées. Il en a repris les mimiques, le ton et les gimmick. Son ton sévère tout en disant "s'il vous plaît" et "merci" sème la confusion, et au final, l'interlocuteur ne sait plus quoi penser. L'acteur, qui a réellement tourné avec un téléphone à la main, s'est lui-même pris au jeu et les effets de son invisibilité auprès des autres donne un résultat incroyablement réel et angoissant. Il en devient méprisant et détestable au plus au point. Une performance de haut vol, d'autant plus lorsque le téléphone du plateau est tombé en panne et qu'il a fallu donner la réplique en personne. Il a avoué avoir été très mal à l'aise d'avoir des ordres et abuser des autres personnages en les voyant réellement. Car ce qu'il fait faire est absolument abjecte. Cette manipulation par téléphone peut parfois sembler un peu tirée par les cheveux (attention SPOILER - surligner pour lire : soumettre l'adolescente à toutes sortes d'action et d'humiliations, passant d'une fouille au corps à une agression sexuelle - Fin SPOILER), mais Craig Zobel, nous apprend que 70 cas similaires ont été recensés dans 35 états du pays sur une période de 10 ans. Et le réalisateur d'appuyer sur l'horreur qu'est en train de vivre Becky en alternant plans sur les clients du restaurant qui ne se doutent pas qu'un drame se déroule à quelques mètres d'eux, et gros plans sur la nourriture du fast-food grasse et dégoulinante, collante et poisseuse donnant des hauts-le-cœur.



Sandra et son équipe ne sont finalement pas les seuls à être impliqués dans ces événements tordus. Les spectateurs (qui se demandent ce qui se cache sous le tablier de Becky dénudée) peuvent se demander s’ils ne sont pas eux aussi complices du jeu malsain du pervers manipulateur. Et pourtant, ce long-métrage ne fait pas du tout dans le voyeurisme. On compatit envers Becky, on s'énerve contre Sandra, on hurle après Van (Bill Camp) qui commettra l'irréparable, (SPOILER - on remercie l'homme à tout faire qui va déjouer l'arnaque... (Fin SPOILER). On ne peut toutefois s’empêcher de soulever un sourcil quand, dans les dernières minutes, Becky confie à un policier "Je savais que ça finirait comme ça". Cette réplique terrible sous-entend que la jeune femme n’a pas pris toutes les mesures pour se défendre, ou que le harcèlement verbal de Daniels est parvenu à lui donner le sentiment qu’elle méritait son sort. Mais la plupart des gens sont "programmés" pour réagir à des gens comme l'officier Daniels et contre cela, on ne peut rien faire.
En résumé : Un film dérangeant, parfois insoutenable, qui fait réfléchir, montrant une société est prête à tout pour coopérer avec la loi. Il joue sur la terreur qu'engendre le refus d'obéir et les conséquences beaucoup plus importantes qu'ils ne sont en vérité. Et des acteurs incroyables, poignants et stupéfiants ! Coup de coeur assuré (pour ceux qui pourront rester jusqu'au bout...).

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