samedi 11 février 2012

Critique : Albert Nobbs : Il ou elle... vivons cacher pour survivre (15/02/12)


Il est des rôles qui marquent toute une vie. Albert Nobbs fait partie de ceux-là pour Glenn Close. L'actrice américaine l'interpréta au théâtre il y a 30 ans (et remporta un Obie Award) et depuis, il ne l'a jamais vraiment quitté. Dès lors, elle n'a de cesse de vouloir le transposer sur grand écran. À force de patience et de motivation sans faille, elle développe le scénario qu'elle co-produira. "Je dois absolument jouer ce personnage au cinéma avant de mourir" avait-elle déclaré à ses partenaires producteurs en 2005. Et c'est à Rodrigo Garcia qu'elle confie le script, réalisateur à qui l'on doit entre autre Nine Lives, Les Passagers, Ce que je sais d'elle... d'un simple regard et (le très mélo) Mother and Child. Résultat : une performance impeccable pour une réalisation toute en sobriété. Sans pour autant laisser de côté les autres personnages, tout aussi brillants les uns que les autres chacun dans leur style.





Adaptation de La Vie singulière d'Albert Nobbs, une nouvelle écrite par George Moore, auteur irlandais du XIXe siècle, Albert Nobbs revient sur le parcours d'une femme (Glenn Close) qui se travesti en homme pour exister. 
Dans la société britannique du XIXe siècle, naître du "sexe faible" ne permet pas de travailler pour atteindre un poste important, comme être propriétaire d'un commerce. Bâtarde de naissance, elle commence à travailler à 14 ans. Mais pour ne pas finir à l'hospice ou à la rue dans cette Irlande pauvre, elle devient Albert, majordome discret dans un hôtel réputé. Il/elle économise ses petits pourboires minutieusement jour à après jour pour parvenir à s'acheter un magasin de tabac et changer de vie. Elle se lie d'amitié avec un peintre en bâtiment (Janet McTeer) et l'une des femmes de chambre de l'hôtel (Mia Wasikowska) qui l'encourageront à leur façon à rêver d'une vie meilleure.



Une vie de secrets et de sacrifices


Sans surprise, ce long-métrage doit sa réussite essentiellement grâce à l'interprétation de l'incroyable Glenn Close. Loin de la flamboyante Patty Hewes dans la série Damages ou de la sulfureuse Alex Forrest dans Liaison Fatale, Glenn Close offre un Albert Nobbs tout en retenue. Entre son chapeau melon, son faux col impeccable et sa démarche masculine mais légère, elle se sert de son visage comme d'un masque impassible sur lequel de furtives micro-expressions font toute la différence... et de vraies merveilles. Bluffante ! Certains diront peut-être que cette impassibilité donne une raideur trop marquée et que son personnage finit par manquer de vitalité. Que nenni ! L'actrice sait mêler dimension tragique et pointes d'humour dosées en ajoutant un simple geste, une mimique (souvent empruntée à Charlie Chaplin), un rictus ou un mot bien placé. Une vraie masterclass !



Malgré une réalisation un peu trop académique, voire illustratrice mais délicate, Albert Nobbs nous plonge dans l'univers féminin et sa psychologie, dans une période où tout est question de survie, où la pauvreté menace chacun à tout instant. Un sujet encore d'actualité, de même qu'une autre question qui n'a en rien perdu de sa force aujourd'hui : peut-on vraiment être soi-même ? Vivre dans le secret et devoir plaire aux plus grand nombre pour (sur)vivre, voilà un thème universel qui trouve écho chez tout le monde.


Janet McTeer
Face à Glenn Close, une collection de personnages qui se croisent à l'hôtel, dont Jonathan Rhys Meyers (aka Henry VIII) et Maria Doyle Kennedy (aka Catherine d'Aragon) tous deux sortis de la noblesse des Tudors, et deux survivant de la saga Harry Potter : Mark Williams laissant son rôle de papa Weasley pour être majordome et Brendan Gleeson devenu ici médecin après avoir été le Professeur Fol-Oeil. Dont la magnifique Janet McTeer qui s'efface totalement derrière son personnage (devenu lui aussi masculin par la force des choses) et donne une interprétation brillante, vibrante et pleine d'espoir. Et la jeune Mia toujours aussi lumineuse, même sans fard.


Un regret cependant. Si le climat économique, les rapports de classes sociales et entre les sexes sont bien présents, quelques intrigues secondaires -- dont l'histoire d'amour passionnée entre Helen (Mia Wasikowska) et un jeune homme à tout faire (Aaron Johnson, qui a un furieux air de Jackson Rathbone, vampire de Twilight) -- éclipsent des enjeux bien plus importants pour l'époque. Malgré son rythme lent et parfois verbeux, on se laisse totalement apprivoiser avec le temps par ces personnages et leur vie portée par le courage et la dévotion.


Jackson Rathbone
En résumé : Après Cate Blanchett dans le rôle de Bob Dylan dans I'm not there, Glenn Close confirme avec brio qu'interpréter un homme n'est pas une prouesse réservée aux hommes (souvenez-vous, en leur temps, Robin Williams et Dustin Hoffamn s'étaient essayé avec humour de devenir respectivement Mrs Doubtfire et Tootsi). Rappelons que Glenn Close et Janet McTeer sont en lice pour recevoir une statuette pour ce film, respectivement dans les catégories Meilleure actrice et Meilleure second rôle féminin. Ce serait une juste récompense...


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