dimanche 25 mars 2012

Interview : Kike Maillo : "Elle était tellement parfaite qu'on a cru qu'on avait casté un robot" (rires)

© Kike Maillo
Kike Maillo est le réalisateur de Eva (critique ici), petit bijou visuel espagnol qui a fait son effet au Festival de Gerardmer cette année. Rencontre avec celui qui a (ré)ouvert la porte de la science-fiction au cinéma espagnol laissée fermée depuis Ouvre les yeux (d'Alejandro Amenabar).


D'où vient votre fascination pour les robots et l'univers fantastique ?
Toute mon enfance, j'ai regardé des films américains, souvent fantastiques, tels que E.T. ou Rencontre du troisième type. Tôt ou tard, quand on fait ce métier, on en vient d'une façon ou d'une autre à redonner au cinéma ce que lui-même nous a donné. En ce qui concerne les robots, ma fascination remonte aussi à mon enfance. Mon père avait une réelle passion pour toute sortes de machines. Il réparait des machines à écrire devant moi, ce que j'ai aussi évidemment fait… Ma toute première rencontre avec le cinéma du genre fantastique a été l’adaptation du Livre de la Jungle par Disney. Tous ces animaux qui parlent, c'est déstabilisant quand on est enfant… et pour le reste de votre vie (rires). Et je lisais aussi des livres d’Asimov, auteur qu'on retrouve parfaitement dans Eva
Dans Eva, même les robots sont le quotidiens des personnages, l’humain reste finalement le centre du film. Qu’est-ce qui vous intéressait dans cette direction scénaristique?
La science-fiction et l’intelligence artificielle nous donnent la possibilité de réfléchir sur la condition humaine, et sur notre façon de s'adapter si quelque chose change dans notre environnement. Ce qui permet alors au lecteur/spectateur de s’interroger sur la réalité. Dans la SF et dans Eva en particulier, les protagonistes ont très souvent pour objectif de modeler leur réalité à travers un robot qui doit ressembler au plus près à un être humain, et c'est ça pour moi la science-fiction. Quand on a commencé à écrire ce film, on a mis les robots en second plan pour se concentrer sur les humains et leurs relations. Finalement, nous parlons d’autres choses que de robotique comme l'amour, par exemple… 
Quelle était votre direction artistique pour la conception de l’univers du film et des robots ?
Je voulais mettre en scène un univers allant de plus en plus vers l’intégration sociale du robot dans la société humaine, le robot comme compagnon. On voit l'évolution des machines dans le film : des premiers instants, depuis l'université avec cette femme demi-robot, puis avec Max, le majordome et enfin Eva, la dernière avancée technologique. Et ces compagnons, on peut imaginer qu'ils peuvent être achetés dans un magasin.
Pourquoi avoir commencé le film par la fin, utilisant le phénomène du flash-forward ? Vouliez-vous induire en erreur le spectateur en brouillant le pistes dès le départ ?
© Wild Bunch Distribution
Sans cette scène, un autre genre de problème se posait. On aurait commencé l’histoire de cet homme retournant dans son village, dans cette drôle d'université où il a travaillé, les retrouvailles avec ses proches, la rencontre avec cette jeune fille… Et puis d’un coup, tout serait devenu tragique. Avec ce genre d'enchaînement, le spectateur peut vite être déçu ou choqué en voyant que finalement, c'est une tragédie sans qu'aucun élément ne le suggérant la chose avant. Nous en avons beaucoup parlé au moment de l’écriture du scénario. On a envisagé le film avec cette scène et sans et j’avoue ne toujours pas savoir si nous avons pris la bonne décision.
N'y a-t-il pas un peu du personnage interprété par Jude Law dans I.A. (de Spielberg) dans le le personnage de Max, le majordome-robot ?
Pas vraiment. Il est très bien écrit mais il est beaucoup plus sophistiqué que Max, et Jude Law est un "robot-sexuel"… (rires) Max se rapproche davantage de C3PO, en version humaine et non en métal. D’ailleurs, il y a même des répliques qui rendent hommage à C3PO, quand Max parle de ses différentes fonctionnalités. Comme C3PO, ce robot essaie toujours de se vendre à son utilisateur. J’apprécie vraiment la première trilogie Star Wars tout en ayant une préférence pour le premier épisode. C'est un chef-d'œuvre. Mon intérêt a diminué avec les suites, que je trouve un peu trop sophistiquées. J'ai du mal à retrouver le point de vue d'une robot. Mais je peux comprendre l'intérêt qu'ont les hommes à être en relations avec les robots.
« What do you see when you close your eyes ». Cette phrase revient souvent dans le film (et qui promet une fin tragique pour les robots). D'où vient-elle ? A-t-elle une signification particulière ?
Quand on côtoie le monde scientifique, on se confronte à un monde de gens distants, dans leur monde, des geeks, des nerds. Parfois, ils mettent une touche poétique dans leur travail. On a le cas dans l'appellation des planètes. Donc nous avons essayé d’ajouter une dimension poétique à ce monde technologique. Cette phrase est habituellement destinée à quelqu’un qui s’apprête à rêver, une chose qu’aucun robot ne peut faire, du moins avant l'arrivée d'Eva.
© Wild Bunch Distribution
Concernant les "problèmes éthiques" liés aux intelligences artificielles du film : débrancher un robot de cette qualité émotionnelle ne ressemble-t-il pas à un meurtre ?
Effectivement, il y a un certain paradoxe : c'est tellement facile de débrancher un robot ! Même si un robot comme Eva est tellement ressemblant à la réalité, et cette ambiguïté que nous avons lorsqu'on se demande si on a une réelle relation avec elle... On n'y fait pas vraiment attention mais avec leur ressemblance parfaite, toute la dramaturgie se trouve avant la désactivation. (SPOILER) Le personnage d'Alex a la responsabilité de le faire car son égocentrisme le lui ordonne. C'est un peu l'histoire d'Ulysse et de Télémaque dans la tragédie grecque. C'est Alex qui met toutes ces émotions dans le robot lors de sa création, donc c'est à lui d'y mettre fin lorsque le chaos débarque dans l'univers de Lana, David et Eva. (FIN SPOILER)
Utiliser Space Oddity de David Bowie, était-ce une idée que vous avez eu pendant le tournage ?
J'ai pensé à cette scène 6 à 7 mois avant le tournage. Quand je l'ai écouté enfant, c’était la première fois que j’entendais parler de science-fiction dans une chanson. En grandissant, on apprend à lire entre les lignes et on découvre d'autres significations. David Bowie y parle de SF, la musique est romantique (au sens allemand du terme) et cela date des 70's, soit les trois lignes directrices pour l’esthétique d’Eva.
Le décor du film n’est pas futuriste et contraste avec les prouesses technologiques dont font preuve les robots, qu’est-ce qui a motivé ce choix ?
Ce choix était artistique mais surtout lié à nos restrictions budgétaires (rires). Je n’avais pas envie de me lancer dans la construction d’un futur déjà vu maintes fois dans d’autres films et qui trancherait radicalement avec notre présent. Je pense que ce changement ne sera pas aussi radical. Rien que sur cette table (lors de l'interview, ndlr) il y a près de cinq machines, téléphones, enregistreurs numériques, des appareils de dernière génération… Et je pense que les technologies vont continuer à s’intégrer naturellement dans notre quotidien sans le bouleverser pour autant esthétiquement. Mon film parle de nostalgie des 70's, le protagoniste principal revenant dans le village de sa jeunesse, je voulais donc que le décor inspire un sentiment de confort plus que de froideur technologique. Et pas comme dans Minority Report, par example.
Les effets spéciaux du film sont assez impressionnants…
© Wild Bunch Distribution
Quand on a voulu monter le film financièrement, on nous répondu qu'on était des fous. Personne n’avait fait de SF depuis plus d'une dizaine d’année en Espagne (le dernier étant Ouvre les yeux). Et encore moins avec des robots ! On a fait un court-métrage (qu'on a tourné en Andorre après un week-end bien neigeux) avec d'autres acteurs pour montrer ce dont on était capable. On y a mis quelques uns des effets spéciaux. Et toutes les idées reçues que les gens avaient à ce sujet ont disparu. Quand vous dépasser le mur qui se tient devant vous, il y a beaucoup de territoires à conquérir… Mais on s'est dit qu'on allait faire le film avec notre savoir-faire, avec ce qu'on sait gérer. En Espagne, on met des effets spéciaux dans des productions comme la pub, mais jamais on est allé vers le cinéma avec ce savoir-faire. On savait contrôler le métal, le cristal mais pas les éléments comme l'eau. Nous devions donc définir des limites techniques à notre imagination, des contraintes finalement très stimulantes pour la créativité. Nous avons aussi essayé de mélanger le plus possible les CGI (effets spéciaux, ndlr) à des effets plateaux et animatroniques afin de donner aux effets un aspect le plus concret et physique possible. Ce fut le cas pour le prototype d’enfant robot qui combine les deux écoles (c'est une vraie fille qu'il y'a sous le costume du robot sur lequel Alex travaille). Pour le système de programmation utilisé par Alex, nous nous sommes surtout inspirés de la "phrénologie" c'est-à-dire la science (développée en France au XIXe siècle) qui partait du postulat qu’à chaque partie du cerveau correspondait une capacité particulière. Mais je pourrais parler pendant des heures des effets du film, c’était un travail vraiment passionnant.
© Wild Bunch Distribution
Pouvez-vous nous parler un peu plus de la petite fille et de l’écriture de son personnage ? Les relations entre Eva et le programmeur sont assez particulières…
Là réside l’un des paradoxes qui m’a le plus plu au début du projet. Alex, le programmeur, est en quête d’un modèle pour son robot enfant et il choisit finalement Eva qui n’est pas vraiment une petite fille de 10 ans. En tout cas les blagues qu’elle lance à Alex et ses actions (qui sont à la limite du flirt) ne sont pas du ressort d’une gamine de son âge. Et c'est de là que vient une certaine fascination pour cette gamine. Le personnage d'Eva est écrit comme une femme dans le corps d’un enfant, une lolita en quelque sorte. Elle est capable de jouer avec le mot "pervers", par exemple. Ça, c'est une blague qu'on fait lorsqu'on a 16 ans, pas 10. Nous avons d’ailleurs eu beaucoup de chance de trouver cette jeune actrice après plus de 3 000 auditions. Quand on mélange SF et mélodrame, sans science-fiction, thriller ou action, on doit avoir de très bons acteurs. Après 5 ou 6 mois sans trouver la fille idéale nous avons même songé à abandonner et réécrire le rôle ! J'ai l'habitude de travailler avec des enfants, et c'est souvent difficile d'en trouver un qui soit capable de comprendre le texte, ce que fait son personnage et pourquoi il le fait. Claudia (Vega) dégage une réelle empathie et elle a une palette de jeu incroyable. Elle était d’ailleurs tellement parfaite (elle ne se plaignait jamais du froid polaire, par exemple) que la blague récurrente sur le plateau était de dire que nous avions casté un robot ! 
Quels sont vos prochains projets ?
Je ne sais pas. Me reposer. Voir s’il y a des bons scripts de fantasy… Mais je reste ouvert à d’autres genres de films : action, mélo, comédie musicale… Nous sommes actuellement sur plusieurs premiers jets de scénario mais, sérieusement, je ne sais pas quel est mon prochain projet.
Pas de Eva 2, le Retour de prévu donc ?
(Rires) Non, non ! Je laisse ça aux Américains… S’ils veulent faire un remake, un reboot, une suite, une prequel ou une sequel, cela me ferait très plaisir !

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