mardi 22 novembre 2011

Interview : Tahar Rahim : "Être un prince dans le désert, un rôle auquel je jouais quand j'étais petit"

C'est dans les bureaux parisiens de la Warner que TvCinep(h)ages a rencontré le jeune Tahar Rahim, doublement Césarisé pour Le Prophète, de Jaques Audiard, en 2010. Il parle avec enthousiasme de son dernier film, Or Noir, réalisé par Jean-Jacques Annaud (en salle le 23 novembre). Une interview toute en décontraction (et en sourires) avec un talent du cinéma français, humble et attachant. 



Voilà un moment qu'on ne vous avait pas vu ! Et là, deux films d'un coup. Après le passionné Love and bruises (de Lu Ye), l'épique Or noir, un film dirigé par Jean-Jacques Annaud.
C'est agréable d'être reconnu pour son travail mais je préfère apparaître quand j'ai un film à présenter, sinon je me sens une imposture car ça sert à rien d'être là quand on n'a pas de travail.

Le rôle d'Aouda est fort malgré des débuts timides. Qu'est-ce qui vous a plu chez lui ?
Ce qui me fait choisir un film, c'est la fusion de trois choses : un personnage, un scénario et une bonne relation avec le réalisateur. Si tout cela fonctionne, j'y vais. Sinon, c'est dangereux. Et j'aime bien incarner des personnages qui sont à l'opposé de moi. Je me sens vraiment jouer à ce moment-là. Mon but, c'est de trouver des défis. Dans le personnage d'Aouda, le défi était d'endosser tout ce costume (non, pas l'habit...), celui d'un prince dans les années 1920. Un bibliothécaire, qui se retrouve chef de guerre malgré lui. 

Alors on se sent un peu comme un gamin avec son cheval et son épée ?
Je me suis retrouvé à être un prince dans le désert, un rôle auquel je jouais quand j'étais petit. Sauf que là, le personnage à une profondeur, une évolution, donc j'y ai trouvé mon compte. Et une belle histoire. Pour une fois dans un film de cette ampleur-là, il y a une écriture du monde arabe et une lecture des textes sacrés qui est très peu exploit, voire jamais, dans le cinéma hollywoodien. C'est différent dans le cinéma français car on a un cinéma indépendant. Et on en parle parce qu'on a une histoire commune avec le Maghreb. Donc j'étais très content aussi pour cela d'avoir fait partie de l'aventure. Et (en tant que musulman) je suis d'accord avec tout ce que dit Aouda de A à Z, car l'Islam est la religion du juste équilibre quand on connaît un peu. En tant que spectateur, j'en ai marre de voir les musulmans et le monde arabe diabolisés comme ça. On m'a proposé un rôle dans un film américain à New York, où je devais jouer un chauffeur de taxi barbu. Je me suis dit "ok, pourquoi pas, il faut le lire". Mais il met des baffes à sa femme voilée à la fin. Qu'est-ce que j'irais faire là-dedans ! C'est décevant. On a beau m'annoncer le casting fabuleux qui va avec ensuite, je m'en fous.


Vous aimez que vos personnages se dévoilent au fur et à mesure du film. Aouda, comme Malick (dans Le Prophète), a un parcours initiatique qui les révèlent...
Effectivement, on peut comparer le trajet d'Aouda à celui de Malick. Les deux partent d'une existence dans l'ombre et vont ensuite se révéler être des meneurs. Mais ils ont un parcours inverse. Malick, c'est un sauvage qui va canaliser son énergie, découvrir qu'il sait réfléchir et qui va s'en servir. Aouda est un intellectuel absolu qui va se rendre compte que ce que son père lui disait était vrai : qu'il a un instinct de meneur et de militaire. Mais là, j'en envie de passer à autre chose. J'aimerais bien trouver une bonne comédie (rires) ou un film romantique, mais qui ne soit pas comme les autres. Pas un truc "nian nian". Sur la route de Madison (de Clint Eastwood, sorti en 1995, ndlr) était magnifique. Quelque chose qui nous parle et qui soit romantique. Ou de la science-fiction, comme le premier Matrix ou Inception.

Et si vous pouviez choisir un réalisateur ?
James Gray, car il a toujours des personnages intéressants, ambigus, parce qu'il est vraiment puissant dans ses images, parce que son cinéma est un cinéma de genre intelligent qui peut parler à tout le monde. Mais c'est du fantasme.

Est-ce difficile de quitter un personnage quand on a passé cinq mois à ne voir qu'à travers lui ?
Lâcher son personnage, ce n'est pas forcément facile. Ca dépend de comment s'est passé le tournage. Le personnage d'Aouda, je l'ai quitté très facilement parce que j'étais sur les genoux à la fin. J'avais vraiment envie de rentrer, revoir ma famille. Et le film a été tellement fait dans la déconstruction (le plan de tournage était complètement explosé : je jouais la fin puis le début). Donc finalement, le personnage tu le tiens un moment, puis tu le lâches, puis tu le reprends. Cela a été différent avec Matthieu (dans Love and Bruises). C'est pas de la schizophrénie, je sais qui je suis et je sais où je vais après. Mais il y a des attitudes qui restent pendant longtemps, des regards, des façons de réagir... A la fin du tournage de ce film, je discutais avec un pote, je l'écoutais et tout à coup il me dit : "t'es froid comme une tombe" (comme mon personnage). C'est dans des moments comme ça que tu te rends compte qu'il y a des choses qui restent, des réflexes incontrôlés. 

Et comment s'est passé le tournage dans la langue de Shakespeare ?
C'était le plus gros challenge parce que je n'avais que des notions. Et j'ai sacrément galéré ! En résumé, avant je me faisais comprendre mais en parlant de façon saccadée et foireuse. En gros, je faisais du yahourt (rires). Se faire comprendre, c'est l'essentiel dans une vie de tous les jours, mais pas au cinéma. Je ne pouvais même pas utiliser les petits mots de jonction qui aident à jouer... parce qu'il fallait parler un anglais soutenu. De plus, quand on joue dans une langue qui n'est pas la nôtre, il faut adopter une musicalité spécifique, et chez moi elle paraissait fausse tout le temps. Donc il m'a fallu trois semaines pour comprendre que tel mot il fallait l'appuyer à tel moment, et ça s'est passé en écoutant toute l'équipe. Et j'avais un coach qui m'a dit où appuyer. Et c'était d'autant plus difficile que Jean-Jacques (Annaud) modifie souvent le texte ! De toute façon, avec Jean-Jacques, on travaille en deux temps : d'abord on fait le film et ensuite, tous les personnages ré-enregistrent leur voix en studio. Parce que c'est quelqu'un de très pointu, qui aime les détails de direction. Et c'était nécessaire parce que quand on tourne dans le désert, au milieu des chameaux, du vent, côté son, c'est foutu.

Donc des conditions des tournage difficiles...
Le tournage n'a pas été simple pour toutes ces choses comme le sable, le vent... C'était physique (j'ai même attrapé une conjonctivite !). T'as du sable dans les oreilles, il fait froid le soir et très chaud la journée, t'as le nez asséché... En même temps, rencontrer le désert, c'est quelque chose de vraiment puissant. C'est un endroit où être seul n'est pas un problème. Il te rappelle ta condition d'être humain : si tu l'oses, t'as perdu face au désert. Et les gens qui y vivent le disent : "le désert ne se racontent pas, il se vit" et ils ont raison. Quand le matin tu vas le sur Chott-el-Jerid en Tunisie, tu bois ton café au lever du Soleil, sur un lac séché, t'as l'impression que t'es au bord de la mer. C'est des lumières oranges qui partent de partout c'est magnifique. Tu planes.


Qu'est-ce vous aimeriez que les spectateurs retiennent à la fin du film ?
J'aimerais bien qu'à la vision du film deux messages soient compris. Ce que dit Amar (le père biologique d'Aouda) : la vie et l'amour sont des valeurs nobles qui ne s'achètent pas. Et d'un autre côté, utilisons à bonne escient l'argent du pétrole pour aider le peuple. Bon après les deux partent dans l'extrême dans le film, mais Aouda est là pour rétablir l'équilibre.

Les sirènes d'Hollywood vont peut être sonner un peu plus fort après Or Noir...
L'aventure m'a marqué, et elle va rester avec moi. Le film a un sens, un fond, c'est du grand spectacle. Je ne vois pas pourquoi j'irais tourné avec un Chinois et pas avec Hollywood. Maintenant, ce ne sera pas Hollywood pour aller à Hollywood. En même temps, je ne reçois pas un milliard de projets de là-bas non plus (rires). J'aime faire des projets à l'étranger, mais je n'ai pas envie de tourner le dos au cinéma français. Je vis en France et j'aime le cinéma français donc je vais rester là. Mais des petites aventures par-ci, par-là, ça me plairait bien (rires).

Qu'est ce qui fait d'Or Noir un film à part ?
Des gros films épiques comme Or Noir il y en a de moins en moins, le dernier en date pour moi, c'est Gladiator. L'économie restreinte d'en ce moment y est pour quelque chose. Et Or Noir est un film sans effets spéciaux. Les décors sont construits, il doit y avoir deux trois petites choses de rectifier dans les plans larges, mais il n'y a pas un fond vert. Un gros spectacle avec un fond, il n'y en a pas beaucoup.


Et comment cela s'est passé avec le reste du casting ? Impressionnant ?
J'appréhendais la rencontre avec Antonio Banderas et Mark Strong. Attends... ce sont des stars mondiales, les mecs !!! Je ne savais pas trop comment j'allais me comporter...
J'ai rencontré Antonio Banderas à Cannes la première fois avec Pedro Almodovar. Et là il me dit "je connais ta tête." J'ai cru que c'était à cause du Prophète. "Non, je n'ai pas vu le film, mais je connais ta tête". Je lui réponds : "Vous n'avez pas vu La Commune, quand même (série passée sur Canal+, ndlr)?!" (Rires). Rétrospectivement, je pense qu'on avait dû lui dire que j'allais être casté pour Or Noir et lui montrer une photo. Et donc à l'hôtel en Tunisie, il vient se poser, discuter tranquille. C'est un bon vivant, il est très sympa et tu ne ressens pas le poids de la célébrité. Quand t'es jeune acteur et que tu te retrouves dans une aventure aussi énorme, t'as pas envie que ça se passe mal. Et le mec m'a considéré comme un acteur. Si le feeling n'était pas passé, ça aurait été galère. Et finalement, il a été adorable. Et en plus, il met la bonne ambiance. Je ne sais pas si tu réalises, mais le gars vient d'une petite ville en Espagne... et regarde où il en est ! C'est beau ! Avec Mark (Strong), c'est une autre école. C'est un Anglais, gentleman, sage. J'ai adoré joué avec lui. Et Freida, ça s'est très bien passé (rires). Elle est très généreuse, et quand tu joues avec elle, elle est cool. Quand je pétais un câble avec l'anglais, elle me rassurait. Parfois je devenais fou. Quand un mot passait mal au milieu de toute une tirade, il fallait repartir au début. Mais c'était le challenge. Personne ne parle de la difficulté de tourner dans une langue qui n'est pas la sienne. Moi, j'en ai ch... ! (rires) Mais j'aimerais bien en refaire un, maintenant que j'ai passé un cap.

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