samedi 28 mars 2015

[Critique] Une belle fin : sublime hymne à la vie (15/04/15)

© Condor
UNE BELLE FIN 

De Uberto Pasolini
Avec Eddie Marsan, Joanne Froggatt, Karen Drury, Andrew Buchan…
Sortie le 15 avril 2015

John travaille au service clientèle des pompes funèbres, cherchant les proches de défunts décédés sans famille connue. Son existence consiste à aller dans les appartements des disparus à la recherche d'indices, puis à son bureau remplir des dossiers, et enfin aller aux enterrements de ceux qui n'ont personne. Car il est comme cela John, il s'occupe des morts jusqu'au bout, avec l'empathie que la société leur refuse. C'est en s'occupant de sa dernière affaire avant d'être viré, un inconnu et pourtant voisin, qu'il va prendre conscience de sa propre fin et commencera à s'ouvrir au monde…


© Piffl Medien GmbHLe cinéaste nous offre une belle histoire, originale, pleine de compassion à l'empathie grinçante et parfois drôle, sans tomber dans le portrait larmoyant d'un homme seul, sans autres amis que les morts. Il nous fait vivre la quête d'un homme insolite, solitaire sans en avoir vraiment conscience de l'être car il ne voit pas qu'un autre mode de vie possible. On n'apprend pas grand chose de lui si ce n'est qu'il est consciencieux, ordonné à la limite de la maniaquerie maladive, mais profondément humain, altruiste et dévoué aux autres. Il fait partie de ces gens dont les vies personnelles semblent vides, mais qui trouvent un épanouissement ailleurs que dans leur famille ou amis, par exemple dans leur travail. La vie de John est riche des vies oubliées auxquelles il s'est consacré, dont il met soigneusement les photos dans un album pour en faire sa propre famille par procuration. 

© Piffl Medien GmbHÀ travers lui, Pasolini livre une réflexion émouvante et juste. Il nous rappelle à quel point notre monde actuel peut être cruel et désincarné avec nos semblables. Tout tourne autour de la rentabilité, du profit, de la rapidité à laquelle les choses doivent se faire… Dans le tourbillon de nos vies, il n'y a plus de place pour l'humain et encore moins d'empathie pour autrui. À commencer par ceux qui nous sont soit-disant proches. Nous discutons avec des gens à travers le monde via les nouvelles technologies, mais connaissons-nous nos voisins de palier ? Comment est-il possible que des gens meurent totalement seuls, oubliés, sans compagnie ni amis ? Une belle fin nous rappelle que quoique nos proches aient dit ou fait d'impardonnable ou de contestable, ils restent des êtres humains ayant le droit d'être entourés lors de leur passage dans l'autre monde. Les morts ne sont pas que des corps à laisser pourrir dans une boite au fond d'un trou ! Et John se bat contre des moulins à vent et l'administration sans cœur (parfaitement incarnée par Andrew Buchan (Broadchurch) ici odieux) pour donner un peu de dignité et d'amour à ceux qui n'en ont plus, tel un ange-gardien débordant d'amour. 

© Piffl Medien GmbHCe personnage est d'une intensité rare et superbement joué par Eddie Marsan, dont c'est le premier vrai grand rôle (il était temps après entre autre, Blanche Neige et le chasseur, Le dernier pub avant la fin du monde, Jack le chasseur de géants, Tyrannosaur). L'acteur interprète tout en retenue cet homme à la vie très structurée, qu'il voit bouleversée en apprenant qu'il est licencié comme un malpropre après 22 ans de bons et loyaux services. Et à la mort de son voisin, qu'il traite comme un véritable ami sans l'avoir connu, et même en découvrant qu'il n'était loin d'être un saint. Il perd son refuge et doit se confronter à la "vie réelle", qui pour la première fois l'emmène bien loin de sa vie cadrée, géographiquement et émotionnellement.

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John s'exprime en peu de mots, bouge avec rigidité et ne déroge pas à ses habitudes. Et pourtant, il montre ce qu'il pensent par des regards et des gestes qui nous font chavirer le cœur. Grâce à une mise en scène pudique et presque sensuelle (au sens premier du terme), Pasolini suit son personnage avec douceur. On ressent parfaitement ce que John éprouve lorsqu'il entre dans les appartements des défunts : ses regards emplis de compassion sur l'oreiller écrasé ou sur un fauteuil défraîchi, ou lorsqu'il dévisse un pot de crème pour le corps où des traces de doigts subsistent… La beauté des images saute aux yeux, et défilent avec une fluidité et une cohérence irrésistible. Leurs couleurs d'apparence ternes, grisâtres telles les cendres que John dispersent avec amour, illuminent et magnifient le personnage. Elles donnent une lumière poétique et froide, jusqu'à la progressive renaissance de John vers la vie, subtilement amenée avec l'introduction progressive des couleurs. Un véritable écrin pour un bijou, véritable ascenseur émotionnel… dont la (très jolie et inattendue) fin vous fera sans doute sortir le mouchoir.

En résumé : "Une ode à la vie", comme le réalisateur le dit lui-même. Une véritable pépite de subtilité, dans la forme comme dans le fond, avec un acteur désarmant de sincérité.

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