jeudi 26 mars 2015

[Critique] Sea Fog : cauchemar en haute mer (1/04/15)


SEA FOG - Les clandestins

De Shim Sung-bo
Avec Kim Yun-seok, Park Yu-chun, Han Ye-ri…

Sortie le 1er avril 2015


1998. L'Asie prend de plein fouet la crise économique locale. Les pêcheurs sud-coréens ont du mal à y faire face. Leur bateau, souvent bons pour la casse, sont rachetés par le gouvernement. Mais cette idée n'est pas une option pour le capitaine Kang car ce serait comme "renier sa famille". Et pourtant, il aurait bien besoin de cet argent qui lui fait tant défaut. Il accepte un contrat plutôt risqué pour faire face : transporter sur son bateau des clandestins venus de Chine jusqu'en Corée du Sud. Le voyage ne se passer pas comme prévu


Sea Fog © Le PacteLe cinéma coréen n'est pas réputé pour faire dans la dentelle. Et Sea Fog ne fait pas exception. Tiré d'une pièce de théâtre éponyme, on pourrait l'imaginer au départ comme une nième film catastrophe de série B, où les méchants font souffrir les innocents alors que les éléments se déchaînent. Mais si le film de Shim Sung-bo reprend les codes du genre cinéma coréen (et son indéfectible pessimisme) où les genres se mêlent, il en fait une œuvre diablement bien mise en scène. Et Bong Joon-ho, réalisateur de The Host, Mother ou encore Le Transperceneige (ici scénariste et producteur) n'y est pas étranger. Elle se met en place dès les premières minutes avec une sorte de mise à l'eau de son bateau artistique, à bord duquel il instaure une atmosphère et ses personnages, au son d'une musique grandiloquente. On y voit des pêcheurs malmenés par les eaux tumultueuses de l'océan, sur un bateau non épargné par les flots, mais qui trouvent le temps de faire attention aux autres et se sauvent mutuellement la peau, et partagent des moments amicaux autour d'une ampoule allumée (pour se réchauffer). On découvre le monde des marins, comme une famille aimante et soudée par les conditions précaires de leur vie. Et pourant, pendant les deux heures qui suivent, Shim Bung-bo va tout faire pour la mettre à mal, la déchirer. Un ton qu'il avait déjà employé en écrivant Memories of murder (co-écrit avec Bong Joon-ho).

Sea Fog © Le PacteFilm de genre populaire, Sea Fog  est un huis-clos prenant, entre douceur et fureur. Métaphore géante d'un monde en déliquescence et en mutation, il montre à quel point l'homme, obsédé par l'argent et aux résultats financiers, peut basculer dans l'exploitation de son prochain. Pas de place pour le compromis. Sur ce bateau (quasi) fantôme, tel une relique d'un monde en train de s'effondrer, les hommes d'équipage deviennent des prédateurs, des chasseurs par instinct de survie et des obsédés sexuels comme un retour aux premières heures de la vie sur Terre. La hiérarchie se doit d'être respectée, comme dans la chaîne alimentaire, quitte à virer dans la dictature (normal pour la Corée…) et même le sadisme. Dans le rôle du capitaine tortionnaire, Kim Yoon-seok fait des merveilles. Pur produit du Malin (comme l'aime tant le cinéma coréen), le chef de ce bateau en sursis passe d'un sentiment à l'autre en un clignement de paupière : tantôt furieux, sans peur, impassible, terrifiant… Pas de quoi se faire d'illusions sur la nature humaine !

Sea Fog © Le PacteLa noirceur, la folie du désespoir et le chaos absolu, se renforcent alors que le brouillard enveloppe le bateau, tel un linceul pesant et inéluctable. Plus de repères, d'équilibre, ni mental, ni physique. Le film prend une autre densité âpre tout en restant énergique et virtuose. La violence, parfois jusqu'au gore cru, et la déchéance de morale de l'âme humaine se mélangent aux instants de romantisme et aux pincées d'humour… Un méli-mélo de genres qui pourrait laisser plus d'un spectateur sur le radeau de secours. Mais l'ensemble est d'une réalité horrifique terrible, où les circonstances (je ne voudrais pas gâcher le plaisir en vous les révélant…) laissent le spectateur à cran sur son siège. Dommage que le crescendo scénaristique soit un peu perturbé par un humour un peu… ras les vagues.


En résumé : un huis clos intense, terrifiant et saisissant par sa stylistique de l'image et son propos sur l'âme humaine.

                        

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