samedi 4 janvier 2014

[Critique] Philomena : Crise de foi sauce anglaise au menu (08/01/14)

PHILOMENA


De Stephen Frears
Avec Judi Dench, Steve Coogan, Sophie Kennedy Clark...

1952, en Irlande. La jeune Philomena Lee tombe enceinte alors qu'elle est adolescente. Très vite, elle est envoyée dans un couvent pour que sa grossesse arrive à terme en toute discrétion. Elle y travaille en échange de soins. Elle met au monde un petit garçon qu'elle nomme Anthony. Mais celui-ci est adopté par une famille de riches Américains à l'âge de 3 ans, et contre la volonté de Philomena. Elle vit cette déchirure dans le secret pendant plus de 60 ans, jusqu'à ce qu'elle mette sa fille au courant. Toutes deux décident d'embaucher un ancien reporter à la BBC pour retrouver Anthony. En disgrâce depuis une malencontreuse affaire, le journaliste voit dans cette histoire une manière de faire rebondir sa carrière. Tous deux partent à la pêche aux indices et remontent la piste du fils perdu entre l'Irlande et les Etats-Unis...



© Alex Bailey
En lisant ce synopsis, on pourrait se dire qu'on va sortir les mouchoirs et prendre une dose de Prozac en sortant de la salle. Point du tout ! C'est bien mal connaître le style d'écriture du duo Steve Coogan / Jeff Pope, qui offrent avec Philomena une histoire bouleversante (et tirée de faits réels) sans pathos ni émotion facile, et préférant la chaleur humaine et la vitalité de l'humour. 

Si les derniers longs-métrages de Stephen Frears n'ont pas convaincus (Lady Vegas en particulier), Philomena nous réconcilie avec le réalisateur britannique. Il reprend sa trame fétiche des dissensions sociales, confrontant l'upper class à la classe plus modeste. On pense d'abord à une comédie jouant à fond sur les contraire, à travers des personnages paraissant au premier abord caricaturaux : le journaliste, pur produit cynique et enragé de la high society londonienne, fait face à une modeste citoyenne, venue de la classe ouvrière, férue de romans à l'eau de rose.
© Alex BaileyLe scénario donne lieu à des répliques savoureuses donnant un rythme de comédie fonctionnant parfaitement. Et le duo d'acteurs y est pour beaucoup. Judi Dench, mélange de classe et d'élégance britannique, de force et de profondeurs émotionnelles, et d'une légère virilité acquise en jouant "M" (big boss de James Bond), nous emporte en deux répliques et un sourire. Son regard malicieux et sa sincérité désarmante s'inscrivent sur nos rétines et dans nos cœurs pour un moment. Interprète d'une bigote dont la foi n'est ébranlée par rien, pas même le plus atroce. Elle donne à cette mamie une dimension presque coquine, avec le plus grand naturel. Il faut l'entendre dire des répliques crues sans sourciller et sans être graveleuse pour autant ! Quant à Steve Coogan (peut être un peu plus en retrait), il lui rend bien la pareille avec ses vannes d'une sécheresse drolatique et ses attaques vindicatives permanentes sur la foi et l'Eglise. Un personnage impudent et insolent comme on aime le voir jouer (comme dans le récent, mais râté, A Very English Man)

© Alex BaileyEt puis, le ton se fait plus grave et les échanges et l'opposition plus profonds. La colère noire du journaliste fait face à la mélancolie de cette dame âgée. Ou deux visions du monde qui s'affrontent sur fond de crise de foi. Mais jamais le cinéaste ne prend parti, ni ne donne de leçon. Il n'est pas là pour manipuler ou juger le spectateur, mais pour questionner chacun sur son attachement à sa foi, malgré les fautes (les horreurs, même) et les contradictions de l'Eglise catholique bien pensante. Là où certains s'énervent et ne veulent pas pardonner car ils ne comprennent pas, d'autres préfèrent continuer à croire et refusent toute rancune et animosité.

En résumé : Philomena s'avère être un petit bijou d'émotions sincères et d'humour so British, porté par des acteurs fabuleux, sans pour autant oublier de dénoncer un propos sérieux et horrifiant.



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