De Logan et Noah Miller
Avec Ed Harris, Jason Isaacs, January Jones…
Sortie le 9 octobre 2013
Sweatwater, un petit bled paumé au milieu de terres sèches comme du foin, comme on en trouvait à l'heure de la conquête de l'Ouest. Le "Prophète" Josiah règne sur ce territoire comme un loup en quête de chair fraîche, persuadé que la volonté divine l'a conduit à cet endroit pour qu'il guide son troupeau d'ouailles indisciplinées. Il compte bien faire régner l'ordre à coup de sermons, ne laissant que de peu de chance de survie à quiconque essaie de le défier. Dégainant plus vite son Colt que sa Bible, il laisse de nombreux cadavres sur son passage, dont le mari d'une ex-prostituée devenue fermière. Attiré par l'odeur de la justice à rendre, un vieux shérif s'engage dans la chasse aux indices pour remonter à la source de ces meurtres arbitraires... qui ne feront que s'accumuler à ceux perpétrer par la veuve en colère.
Des ambitions difficilement tenues
Le western serait-il de retour ? Après Django Unchained, Sherif Jackson rend hommage au genre, sans trop appuyer sur les nombreuses références, tout en gardant leur côté décalé déjà aperçu dans Touching Home, leur précédent long. Mais à force de vouloir rendre le film original et personnel, ils finissent par ne plus tenir des rennes de leur projet. Ne semblant pas maîtriser les codes du genre, ils préfèrent prendre que ce qui leur paraît intéressant dans chaque personnage à un moment défini, sans pour autant les faire interagir pour créer un intérêt ou une avancée quelconque dans l'histoire. Résultat : la caméra, hasardeuse, ne sait pas trop où aller, quand se poser et quand laisser des respirations. Le récit finit par s'étirer dans tous les sens, multipliant les intrigues sans queue ni tête. Tout ça pour finalement choisir une histoire secondaire comme fil rouge, laissant tomber l'histoire initiale.
Pourtant, dès l'ouverture, on fait face à des images d'une provocation graphique impressionnante : des grandes croix blanches alignées baignées dans un fond noir derrière le Prophète psalmodiant des récits bibliques puissants. Ou encore le shérif, hurlant comme un chien-loup sur une colline désertique dans un coucher de Soleil incandescent. Entre Paradis et Enfer, on s'attend à un humour fantasque et décapant, frôlant la parodie. Point du tout ! Les frères Miller ont préféré jouer l'équilibre entre sobriété et absurdité, entre grandiloquence manichéenne des bons contre les méchants et une vision de la vie sans concession de l'Ouest américain de l'époque. Prophète violent et intransigeant, banquier corrompu, commerçant pervers... le tableau peu reluisant (voire parfois glauque) et plutôt pessimiste de cette ville mise sur l'excès passager plutôt que la grosse farce à prendre au 15e degré. Certains y verront seulement de la violence gratuite et sans intérêt, d'autres feront référence à Tarantino (Django Unchained, Kill Bill), et pour les décors épurés Kelly Reichardt (La Dernière Piste) ou Mateo Gil (Blackthorn).
Mais à force de manier la chèvre et le chou, on ne sait plus trop sur quel pied danser ! Le film prend son temps pour trouver son rythme, entre humour (très) noir et tragédie sentimentale, flinguant au passage toutes les bonnes consciences du western façon Deadwood. Et pour ce faire, une galerie de personnages tous plus absurdes les uns que les autres. En particulier les principaux, loin d'être tout blanc ou tout noir. Tous ont un passé, des croyances et certitudes, et surtout des états d'âme changeant en fonction des événements, ce qui finit par les rendre humains et presque attachant. Mais on les "perd" assez rapidement à cause d'un récit trop éclaté, au milieu de personnages secondaires sans réelle saveur.
Des personnages hauts en couleur
Heureusement, le film tient grâce aux performances de son trio d'acteurs principaux. Quelle joie de voir Ed Harris se lâcher dans ce rôle de shérif mélomane à la dégaine de clown, mélange de Jack Sparrow et de Big Lebowski, dansant la valse à son arrivée en ville, et faisant de ses bagarres de vraies chorégraphies ! Et Jason Isaacs n'est pas en reste en incarnant avec charisme le Prophète (rôle sans doute testé à moindre échelle avec Lucius Malefoy dans Harry Potter). Un petit bémol cela dit : a-t-il besoin d'en faire des caisses dans sa gestuelle pour convaincre de la monstruosité de son personnage ? Cela reste à débattre... La belle January Jones trouve ici en interprétant la veuve vengeresse, un rôle qui la sort enfin du carcan de Mad Men, tantôt froide, tantôt enjôleuse. À ceci près que son élan destructeur s'essouffle assez vite au regard de la facilité avec laquelle elle dégomme ses ennemis. On finit par suivre stoïquement sa progression vers un dénouement qui ne trouve aucun salut pour personne.
En résumé : Sherif Jackson est un film décalé, divertissant, granguignolesque mais qui manque un peu de finesse et de structure. Le résultat final n'est pas catastrophique, mais il semble gâché par un manque de prises de positions franches, alors que les idées de départ sont excellentes. Dirigé dans un hasardeux et joyeux bordel, ce film qui ne manque pas de passion est un western atypique.