samedi 28 septembre 2013

[Critique] As I Lay Dying : Un tour de force réussi mais dépourvu d'émotions (9/10/13)

AS I LAY DYING

De James Franco
Avec James Franco, 
Tim Blake Nelson, Danny McBride, Jim Parrack, Logan Mashall-Green, Ahna O'Reilly

Sortie le 9 octobre 2013

Dans une ferme de Yoknapatawpha, Mississipi, dans les années 1930. Addie Bundren, mère de cinq enfants, vient de mourir. Elle avait fait promettre à sa famille de s'occuper des funérailles et de l'enterrer dans sa ville natale, très loin de la ferme, à plus de deux jours de marche. Tous veulent honorer leur promesse. Ils installent le cercueil sur une charrette et commencent leur périple. Chacun à leur façon, ils vont vivre l'expérience du deuil différemment lors de ce périple rempli d'obstacles et d'épreuves, où blessures physiques et morales vont se révéler cathartiques.




© Metropolitan FilmExportJames Franco est un touche-à-tout éclectique, curieux de nouvelles expériences. Véritable caméléon, il enchaîne avec brio blockbusters (Spider-Man, Le Monde Fantastique d'Oz, La Planète des singes : les origines), petits films à budget minimes (Spring Breakers), tout en s'octroyant des apparitions "pour le fun" (The Iceman, Crazy Night, En Cloque, mode d'emploi) ou forts en émotion (127 heures, Harvey Milk). Auteur inspiré, il est réalisateur de courts-métrages, documentaires et longs-métrages indépendants. Avec As I lay Dying, il s'attaque à l'un des classiques de la littérature américaine réputé inadaptable au cinéma : Tandis que j'agonise, de William Faulkner. Soit un monument ! Inadaptable car l'œuvre est une suite de monologues intérieurs prononcés par une quinzaine de personnages différents sur près d'une soixantaine de chapitres. Et pourtant l'histoire est simple. C'est sur ce mélange de complexité et de simplicité que James Franco a parié, rendant l'adaptation accessible. 


Diviser pour mieux intérioriser


© Metropolitan FilmExportPour garder l'authenticité de la structure et du style de l'œuvre, il a joué sur le procédé du "split screen", qui consiste à diviser l'écran en plusieurs parties, très utilisé dans les années 1970. Une idée plutôt intelligente qui permet de jouer avec la temporalité de la narration (passant du flashforward au flashback) et de multiplier les points de vue sur une même action. On peut ainsi se glisser dans la tête des personnages et explorer leur voix intérieure, tout en continuant de voir l'action se dérouler. À cette technique, il va même jusqu'à retranscrire quelques monologues intérieurs, face caméra, envoûtants et dérangeants à la fois. Des pensées -- parfois reprises littérales du texte de Faulkner -- pas directement adressées au spectateur, mais qui le poussent à voyager dans l'intimité du personnage de façon déstabilisante. Au final, ce côté expérimental donnent à l'ensemble une force et une faiblesse à la fois. Le split screen finit par lasser, voire agacer, car beaucoup trop présent. Et les monologues, tellement étranges, finissent par priver le spectateur de toute émotion et/ou empathie pour les personnages.

Et pourtant, cette famille rongée par la haine, le manque de communication, les secrets, le péché ou la méchanceté pure avait de quoi nous embarquer. Franco observe cette famille avec un regard désenchanté mais puissant sur une Amérique rurale profonde, privée de tout, à la limite de l'humanité, où la noirceur de l'homme refait surface.
Le cinéaste filme avec rythme (parfois ralenti à dessein) et inventivité, sans complaisance, mais avec délectation, cette famille peu civilisée, à grand renfort de dents pourries, d'odeurs cadavériques, de chaleur poisseuse, et de plaies non-soignées. Il sait faire monter une tension qui met mal à l'aise entre les membres de la famille, que ce soit entre un frère et sa sœur secrètement enceinte, entre le père et un fils au sujet d'un cheval adoré échangé pour du matériel, ou encore une grange brûlée pour donner un semblant de fin décente à la mère disparue. Il distille les éléments nécessaires à la compréhension de toutes les dissensions familiales avec parcimonie, jusqu'au retournement de situation final. (Ce qui pourra en perturber plus d'un car, au départ, on ne sait pas grand chose...)

© Metropolitan FilmExportAudacieux jusqu'au bout, il utilise l'espace et le décor comme un personnage à part entière (ce qui n'est pas sans rappeler Jeff Daniels dans Mud ou Take Shelter, ou encore Benh Zeitlin dans Les Bêtes du Sud sauvage), donnant à certaines scènes des moments sublimes. Comme la traversée catastrophe de la rivière à cheval, digne des plus grands westerns classiques.  Une réalisation maîtrisée doublée d'une direction impeccable d'acteurs "du cru" aux accents à couper au couteau. Ces derniers, amis du réalisateur d'horizons bien différents et inconnus trouvés sur place, impressionnent par leur justesse, s'abandonnant complètement à leur rôle. Un grand coup de chapeau à Tim Blake Nelson  (Lincoln, Detachment) dans le rôle du père rustre et édenté, et à Logan Marshall-Green (Prometheus) dans le rôle du frère taciturne et tourmenté.


En résumé : As I lay Dying mérite d'être vu même s'il n'est pas évident que cette expérience  soit très "grand public". James Franco aborde un matériau ardu avec intelligence et un certain sens créatif, et un travail sur le son et l'image inventif. 

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