AU BOUT DU CONTE
De Agnès Jaoui
Avec Agnès Jaoui, Jean-Pierre Bacri, Agathe Bonitzer, Arthur Dupont, Benjamin Biolay...
Il était une fois une jeune fille de bonne famille (Agathe Bonitzer), toute de rouge vêtue, qui croyait avoir trouvé le grand amour au bal des jeunes huppés. Son amoureux est un jeune musicien (Arthur Dupont), un peu rêveur et très charmant. Mais un peu étourdi, il n'a pas vu l'heure passer... Il s'évanouit à minuit en oubliant son soulier. Il était une fois un homme (Jean-Pierre Bacri), bougon et pragmatique, qui ne croyait en rien sauf à la date de sa mort, annoncée par une voyante. Il était une fois une bonne fée, un peu naïve et crédule, qui désespérait d’apprendre à conduire sa vie (à défaut d'une voiture), et d'un loup charmeur (Benjamin Biolay) qui rôdait, en quête de chair fraîche…
"Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants". Les contes pour enfants se terminent toujours ainsi. Et pourtant dans la "vraie" vie, avant d'avoir toute une marmaille, il faut sortir les rames et éviter les embûches. Au bout du conte pose la question tant redoutée : une fois le prince charmant trouvé et le livre refermé, que se passe-t-il ? Tout est à construire. Et la voie pour y parvenir n'est pas sans virages, et réserve souvent des surprises : l'ogre peut être gentil, le loup est parfois attirant cachant ses crocs affûtées, le prince peut bégayer, la princesse peut souhaiter rester dans sa tour enfermée et ne pas écouter les conseils de sa Marraine bienveillante...
Le duo Jaoui / Bacri nous embarque avec humour, poésie et doux-dinguerie dans une histoire où l'amour est plus ou moins malmené... Tout n'est qu'un question de foi, vous diront-ils ! Ils livrent une version moderne et fantaisiste, mais réaliste, des contes pour enfants. Avec dextérité, ils manient toutes les formes de croyances, de la rumeur aux superstitions, en passant par ce qui reste des contes de fée dans notre inconscient une fois adulte... Ils s'amusent de la nécessité de l'absurdité et de la croyance.
Et quoi de mieux que le thème de l'amour pour parler de crédulité ! Cette croyance est la mieux partagée, car c'est le conte de fées que chacun (ou presque) peut vivre au quotidien. Car les personnages des histoires enfantines ont plus que leur place dans le monde réel : le roi possessif et égoïste qui ne veut pas laisser sa fille vivre sa vie peut être un PDG d'une grosse entreprise dont le poste est menacée par la crise ou un scandale financier; la sorcière peut être une femme qui refuse la moindre ride sur sa peau...
A bout du conte nous fait réfléchir et nous questionne sur les illusions que nous nous faisons sur le grand amour, le prince charmant et la vie rêvée qui va avec. Notre société est remplie de faux-semblants et nous fait miroiter des rêves quasi inaccessibles : le loto, où des millions peuvent être gagnés à un chiffre près; les émissions de télé-réalité où notre appartement est refait à coups de baguette magique ou encore notre look est changé en un clin d'œil pour nous faire devenir le/ la séducteur/trice de l'année. En même temps, en écoutant les infos, on entend catastrophe sur catastrophe, mauvaise nouvelle après mauvaise nouvelle... Du coup, on croit à tout et n'importe quoi. Alors il faut bien se raccrocher à quelque chose pour ne pas sombrer. Et quoi de plus beau que l'amour, à des degrés divers.
Les personnages d'Au bout du conte ont leurs croyances mais finissent par évoluer dans le sens opposé, réalisant que tout n'est pas blanc ou noir. Même s'il n'y a pas de véritable enjeu dans le scénario, ce dernier évolue avec finesse et drôlerie, passant de situations cocasses et récréatives à des moments plus intimistes et émotionnels. On aurait aimé que les plans farfelus d'un monde à la Big Fish soit plus présent et pousser davantage dans la folie douce et poétique (comme le poisson qui flotte dans un couloir, une biche qui apparaît entre deux troncs au premier plan...).
Jean-Pierre Bacri en habituel ronchon irascible qui ne croit en rien (et qui n'aime pas les enfants...), et Agnès Jaoui en quadra naïve au cœur tendre, qui préfère croire en tout pour ne pas être déçue quoiqu'il arrive. Et les jeunes Agathe Bonitzer et Arthur Dupont sont lumineux en amoureux transis et d'une fraîcheur désarmante. Quant à Benjamin Biolay, sous son air de séducteur débonnaire, se cache un redoutable briseur de cœur convaincant.
On prend plaisir à les voir se débattre dans leurs relations aux autres (amoureuses ou non), embourbées dans les schémas véhiculés par les contes de fées. Si on pouvait en tirer une leçon ? Ne pas attendre son prince charmant (ou sa princesse) tel qu'on nous le présente depuis notre enfance, car il y a d'autres modèles, d'autres façons d'être heureux. Tout ce qu'on nous inculque (le divorce ou l'infidélité comme un échec) est faux. Il n'y a pas qu'une seule façon d'aimer, et pour le savoir il faut essayer.
En résumé : L'histoire est jolie, pleine de fantaisies, légère mais pas dénuée de sens, enjouée mais pas farfelue.