mercredi 25 mai 2011

Critique : L'Affaire Rachel Singer ou 30 ans de mensonges (8/06/11)

Il est des histoires qu'on raconte avec difficultés car trop pénibles ou indescriptibles, tant les émotions se mêlent à des états psychologiques versatiles. Elles sont encore moins racontables lorsqu'elles sont attachées à l'un des moments les plus douloureux de l'Histoire de l'Humanité...


De quoi ça parle ?

En 1965, trois agents du Mossad Rachel, David et Stephan (Jessica Chastaing, Sam Worthington et Marton Csokas) sont envoyés en mission en Allemagne pour caputurer et faire juger "le chirurgien de Birkenau", un ancien criminel de guerre nazi responsable de centaines de milliers de morts. Ils sont de retour chez eux en héros, ayant accompli leur mission. Mais 30 ans plus tard, l'un d'entre eux (Helen Mirren) se voit contrainte de retourner en Europe de l’Est après la visite d'un des membres du trio. Ce dernier déclare qu'un vieil homme en Ukraine se dit être "le chirurgien". Découvrir la vérité et caché la sienne devient l'obsession de Rachel. Leur mission passée s'avère être un mensonge, que l'on découvre à travers des flash-back... Rachel doit alors payer sa dette.

Que faut-il en penser ?

L'Affaire Rachel Singer (The Debt) est le remake d’un film israélien, inédit en salles chez nous. Nouveau long-métrage de John Madden (Shakespeare in love, Captain Corelli Killshot) est un thriller d’espionnage bien ficelé et extrêmement efficace.
Au-delà du triangle amoureux, qui est à l’origine de l’histoire de ces trois agents du Mossad, la partie espionnage fuse et ne laisse pas de temps mort au spectateur. Convaincante et bien construite, on serre les dents, on trépigne, on retient parfois son souffle... La confrontation avec Vogel, celui que l’on appelle le chirurgien de Birkenau, se montre particulièrement réussie et éprouvante. Pour l’approcher et dans le but de préparer l’enlèvement, la jeune espionne doit en effet se laisser ausculter par cet homme, devenu gynécologue. Terrifiante façon de mêler l’horreur absolue renvoyée par le bourreau à la partie la plus intime de son corps. Et l'interprête de Vogel, Jesper Christensen (L'Interprète, Casino Royal, Quantum of Solace), est bluffant. Malgré le lourd pédigree de son personnage, il arrive à le rendre humain, et Vogel en devient le plus habile des manipulateurs car il réussi à entrer dans la conscience de chacun des espions. Ces derniers sont alors confrontés à des choix moraux quant à leur comportement, leur façon de traiter cet homme. Et voilà un scénario qui le rend terriblement intéressant et plus profond qu'au départ.

Dans sa seconde partie, L'Affaire Rachel Singer joue beaucoup plus sur la psychologie des personnages. Condamnés à retenir prisonnier l’ancien nazi dans leur planque, en attendant de pouvoir l’expédier en Israël, les agents se retrouvent tiraillés entre leur désir de mener leur mission jusqu’au bout et l’envie de se faire justice eux-mêmes. Pour exemple, cette scène épouvantable durant laquelle Rachel le rase, le prisonnier profère les pires horreurs à l’égard du peuple juif. De cette mission, il en restera finalement des traces immuables, qu’elles soient physiques (la cicatrice sur la joue) ou plus profondes (l’amour perdu, le secret difficile à porter qui conditionnera toute leur vie) qui donnent au film une belle consistance, un bel impact (sur les conséquences de nos actes, de nos choix). Sam Worthington, choisi par le réalisateur pour sa prestation dans Somersault (de Cate Shortland) est loin du rôle de beau gosse américain pure souche, sauveur de l'humanité et des Naavis d'Avatar. Idéaliste et torturé par ce secret qui le ronge (que je ne révèlerai pas, même sous la torture...), David (son personnage) a de fortes convictions morales, troublées par un lourd fardeau et une énorme culpabilité. Il a perdu toute sa famille et semble paralysé par son sentiment que la vie n'a aucune valeur, hanté par les fantômes de son passé. Et Worthington a une réelle présence masculine, combinée à une sorte de vulnérabilité sous-jacente. Quant à Marton Csokas, interprète de Stephan jeune, et Jessica Chastain (Rachel jeune) sont tout simplement de vraies révélations. Le premier n'en est pas à son premier coup d'essai (on l'a vu récemment dans Alice au pays des merveilles, L'Arbre, L'Âge de raison); il amène une tension dans le trio de par son ambition et son côté passionnel. Une réelle impression de danger se dégage ainsi de lui. La seconde est tout en contrastes : forte et sensible, prête à tout et vulnérable, résignée et battante. On la retrouvera avec plaisir dans le prochain Terrence Malick, Tree of Life, récemment Lauréat de la Palme d'or à Cannes.

Si la réalisation de John Madden se révèle classique, elle sait se faire discrète pour intelligemment mettre en avant son histoire et ses personnages charismatiques (et l'on n'oubliera pas de signaler la présence solide et toujours impeccable d'Helen Mirren, maintes fois citée aux Oscars et Bafta (The Queen, Gosford Park, Tolstoï le dernier automne) et le non-moins cité Tom Wilkinson (The Ghost-writer, Duplicity, Michael Clayton). Seul le final, pas totalement maîtrisé, sonne un peu trop hollywoodien. L'Affaire Rachel Singer n’en demeure pas moins un captivant thriller de très bonne tenue.

Sortie prévue le 8 juin.

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