C'est en homme averti et impliqué, mais aussi en papa concerné, que David Schwimmer, l'ex-Dr Ross Geller de la série Friends, s'est confié à TvCinephage au sujet de son second-long métrage Trust, présenté au Festival de Deauville.
(c) Marie Serre |
Avez-vous senti qu'il était urgent de faire ce film au vu du danger croissant que représente Internet pour les enfants ?
J’ai voulu faire ce film pour que les parents prennent le temps de discuter avec leurs enfants, de les connaître davantage, afin qu’ils soient plus impliqués dans ce à quoi ils passent de plus en plus de temps : les écrans. Aujourd’hui, il ne suffit plus de regarder de loin ce qu’ils font sur un ordinateur. Même si les enfants savent, ou en tout cas, sont censés savoir, qu’il ne faut pas donner son adresse ou mettre des photos d’eux sur Internet, il ne faut pas se contenter de dire "je n’y comprends rien à cette technologie, je ne sais pas ce qu’est Facebook". Il faut engager la conversation pour savoir avec qui ils discutent…
Est-ce que parler de ce genre de sujet est plus facile aujourd'hui ?
Ce film a été très difficile à monter car le sujet est encore tabou. Le viol ou les attaques de prédateurs sexuels n’attirent pas les investisseurs comme le ferait un film d’action. Si le personnage du père avait tué le violeur à la fin, cela aurait plus facile (rires). On sait que le marché est plus porteur quand il s’agit de thriller ou de films avec des cascades ou des explosions. Car le public veut ce genre de film. Il n’est pas trop tourné vers les petits films dramatiques. Mais tout s'est débloqué lorsque Clive Owen a accepté le rôle.
Vous avez déclaré que vous vouliez surtout "parler" aux pères...
Effectivement. J’ai rencontré beaucoup de pères lors du processus de création. Je suis impliqué dans une fondation qui s’occupe de victimes de viol depuis 14 ans. Les hommes en général sont moins sensibles à ce sujet jusqu'à ce que cela arrive à l'un de leurs enfants. Ils ne veulent pas en parler. Les femmes y sont plus concernées et sensibles. Donc je voulais montrer aux hommes qu'un homme comme Clive Owen est un bon moyen pour eux de s’identifier à son personnage et qu'ils comprennent mieux la situation.
Comment avez-vous convaincu Clive Owen de faire le film ?
Il a lu le scénario et il s'est senti concerné par le sujet car lui même à deux filles du même âge. Et de leur possible danger sur Internet. Il a aimé le voyage intérieur du personnage, l'évolution introspective de son personnage qui se bat pour que sa fille. Il a aussi vu que je ne prenais pas parti et que ce sujet pouvait faire une bonne histoire. Mais il a aussi senti que je ne le prenais pas à la légère car j'étais impliqué dans cette fondation qui s’occupe de victimes de viol. Cela l'a convaincu du fait qu'il fallait qu'il prenne le risque. Car c'est un risque de travailler avec moi qui ne suis pas un réalisateur confirmé, et de parler d'un sujet qui peut être provocateur.
Comment vous êtes-vous impliqué dans cette fondation ? Après Friends, comment en êtes-vous venu à réaliser un drame...
Ils sont venus me voir au début pour qu'en tant qu'homme je parle de ce sujet aux hommes. Ils ont pensé qu'avec ma célébrité je pouvais faire passer le message. Et puis j'ai été tellement inspiré par les gens qui travaillaient là-bas, que j'ai voulu faire ce que je pouvais pour les aider. J'ai effectivement pensé à ce que les gens pouvaient ressentir sur le fait que je réalise un tel film. J'ai même pensé à changer de nom pour le réaliser de façon incognito, pour éviter que les gens ne viennent le voir juste par curiosité parce que je suis le réalisateur. Mais maintenant, je réalise que ce n'est pas possible. Si j'avais su je l'aurais fait...
Quelle relation aimeriez-vous créer avec votre fille (née en mai, ndlr) ?
Celle que tout père rêverait d'avoir. Je veux être présent, proche, l'encourager à être courageuse, sûre d'elle-même. Quand je pense au sujet du film, c'est ce que je veux pour elle. Et quand elle sera en âge d'aller sur Internet, tout aura changé à nouveau car les nouvelles technologies auront évolué. Mon propos est surtout de montrer à quel point les ado sont rivés à leurs écrans pendant des heures. Ils y passent tellement de temps ! Quand j'étais enfant, je m'occupais à lire, à jouer dehors, à peindre, à construire des choses. C'est important de dire qu'il n'y a pas que les écrans dans la vie. Et pour ça, je serai intraitable avec ma fille (rires).
Comment s'est passé le travail avec la jeune Liana ?
Nous avons passé beaucoup de temps ensemble, j'ai appris à la connaître et nous sommes devenus amis avant le tournage. Donc quand on a commencé à tourner, on avait une réelle complicité dans le travail. Et c'est un talent pur, elle n'a pas eu besoin que je la dirige vraiment. Mon rôle était de lui rappeler ce qu'il se passait juste avant la scène qu'on allait tourner, où on en était dans l'histoire. Et parfois, il a fallu que je la pousse un peu pour qu'elle soit plus en colère. C'est ce qu'elle a eu du mal à faire car c'est une jeune fille adorable au naturel, totalement inexpérimentée sur le plan sentimental -- elle n'a jamais embrassé un garçon. Mais sinon, tout est naturel chez elle.
Comment avez-vous tourné la scène du viol ?
Je n'ai pas eu envie d'en montrer plus. Et j'avais une ado de 14 ans devant moi donc je ne voulais pas que le film soit coupable de ce que j'étais en train de critiquer, à savoir les affiches publicitaires et le marketing sexualisé (dans lequel le personnage de Clive Owen travaille, ndlr). Je ne voulais pas tomber dans ce travers. Je voulais être respectueux car j'avais une mineur qui allait jouer cette scène. Comme je viens du théâtre, je pense que ce qu'on imagine est plus terrifiant que ce qu'on voit. L'imagination est souvent plus puissante que de tout voir.
Il y a une phrase terrible dans le film qui dit "mais... elle n'a pas été "violée", elle connaissait le type (grâce à Internet)". Est-ce une phrase que vous avez entendu souvent de la part des victimes à la fondation ?
Je suis toujours effaré par les gens qui ne comprennent pas que le viol soit un crime et qui croient que c'est un geste sans importance. N'importe quelle fille de 14 ans qui est agressée par un adulte, ne peut pas être totalement tenue pour responsable de ce qui lui arrive à cause de son âge, car elle n'est pas responsable de ses actes. C'est pourquoi nous avons des lois. Nous devons marquer une limite, choisir un âge responsable à un moment donné. Cela devient plus complexe quand un garçon et une fille de 17 et 18 ans se voient, sortent ensemble depuis un moment, et que la jeune fille tombe enceinte alors qu'elle est mineure. Et que les parents poursuivent le garçon de 18 ans pour viol. J'ai dû couper la scène, mais c'est ce qui arrive au père que Clive Owen tabasse lors du match de volley. Ils pensent que ce père qui est marqué comme "sex-offender" à vie alors qu'il est marié, qu'il a eu deux enfants depuis, est responsable comme n'importe quel autre violeur.
Est-ce que vous avez eu des témoignages directs après la sortie du film ?
Oui, après des avant-premières dans certaines villes. Quelques jeunes sont venus m'en parler alors qu'ils n'en avaient rien à dit à leurs propres parents. J'ai essayé de leur donner quelques conseils, mais c'est aux centres locaux de s'en occuper. Je ne connais pas les statistiques en France, mais une fille sur quatre et un garçon sur six sont victimes d'abus sexuels avant l'âge de 18 ans aux Etats-Unis. C'est aussi pour eux que j'ai fait le film. Ces chiffres sont tellement alarmants et finalement, il y a peu de choses de faites pour y remédier que cela m'énerve. Les gens ne sont pas à l'aise face à ce sujet. C'est pour ça que j'en ai fait un film.
Propos recueillis par Marie, à la Villa Cartier.
Propos recueillis par Marie, à la Villa Cartier.