De quoi ça parle ?

Voilà un portrait d'enfant extra-ordinaire comme le cinéma en voit rarement. Inspiré du roman écrit par Lionel Schriver en 1999, We Need to talk about Kevin est un film sous forme de "règlement de compte à OK Coral" en bonne et due forme entre une mère et son rejeton. Rien est épargné à cette femme qui, dans son silence résolu, ne peut s'empêcher de réfléchir à sa culpabilité dans l'évolution tragique de son enfant. Elle se bat avec elle-même pour savoir quelle part de responsabilité elle a dans ce qu'est devenu son fils. Ou si elle a tout simplement mis au monde un monstre. Trop maladroite, trop aimante, trop impatiente... ou tout simplement pas faite pour être mère ?

La construction prend ensuite la direction d'un réalisation plus classique, stable, toute en gardant son esthétique léchée et son sonore d'arrosage de jardin, annonciateur de tragédie. Kevin (Ezra Miller), devenu ado, reste une énigme. Tant pour le spectateur que pour sa propre mère. Et quel acteur ! Agé de 18 ans, Ezra Miller déborde de charisme et attire avec son regard diaboliquement glaçant ! Ce jeune new-yorkais a une intelligence d'interprétation qu'on a du mal à imaginer chez un acteur de cet âge. Du grand art ! Il confirme mes premières impressions lorsque je l'ai découvert dans Another Happy Day (de Sam Levinson, dans lequel il joue aussi un ado en lutte permanente avec sa mère). Une véritable "Fucking attitude" naturelle, et lorsqu'il joue, l'espace de jeu n'appartient qu'à lui. Il crève l'écran ! Il ne laisse aucune chance à sa mère de cinéma, Tidla Swinton. Cette Écossaise au physique anguleux, voire androïde, est toute aussi fabuleuse en mère torturée. D'une scène à l'autre, elle matérialise l'angoisse absolue de cette mère assaillie par les attitudes et le visage terrorisant de son fils. Impliquée dans ce projet depuis de nombreuses années, Tilda Swinton incarne une femme émotionnellement paralysée, devenue asociale à cause du rejet du reste de son entourage (on comprend pourquoi à la fin). Incapable d'aimer malgré toute sa bonne volonté, elle ne sait pas exprimer ce qu'elle ressent. Point de rage, point de cris, ni de colère exultée. Et c'est bien là le problème... Rien ne se passe entre eux si ce n'est des regards, silencieux, remplis de haine et de sadisme. elle ne craque qu'à un seul moment : après avoir supporté un de ces nombreux caprices, elle finit par jeter son fils par terre. Moment terrible pour une mère. La cicatrice laissée par la chute fera dire à Kevin quelques années plus tard, droit dans les yeux de sa mère : "c'est la seule chose sincère que tu n'aies jamais faite". Dur !

En résumé : Une belle claque cinématographique ! Une guerre sans pitié, portée par des acteurs troublants de cruauté (même le jeune acteur qui incarne Kevin plus petit) dans une ambiance étouffante. Glaçant mais jouissif !