De Tim Burton
Avec Amy Adams, Christoph Waltz, Danny Huston, Krysten Ritter, Jason Schartzman, Terence Stamp...
Sortie le 18 mars 2015
Big Eyes raconte l'histoire vraie de l'une des plus grandes impostures de l'histoire de l'art. A la fin des années 1950, Margaret Keane quitte précipitamment son mari en emmenant sa fille à San Fransisco. Elle n'a rien pour subsister et cherche du travail. Son domaine : l'art. Mais pas n'importe lequel. Celui qui la fait vibrer et mettre ses émotions sur le chevalet. Son sujet favori : les enfants misérables et tristes, qu'elle peint avec des yeux sur-dimensionnés. Un jour, elle rencontre Walter, un soit-disant peintre du dimanche qui a appris la peinture aux Beaux-Arts, à Paris. Sûr du talent de Margaret, il met en avant les ses tableaux… en se faisant passer pour le peintre. Le succès est fulgurant. Il révolutionne le commerce de l'art, devient riche à millions. Mais à quel prix ! Il laisse sa femme des heures enfermée dans son atelier pour continuer à produire les toiles qu'il est incapable de faire lui-même. Ce mensonge a dupé l'Amérique durant des années avant d'être démasqué...
Si ces 10 dernières années Tim Burton a donné dans le fantastique macabre à gros budget (Frankenweenie, Dark Shadows, Alice au pays des merveilles, Sweeney Todd, Noces Funèbres…), il revient avec Big Eyes vers le film indépendant, plus terre à terre (ce qu'il n'avait plus fait depuis Peewee Big Adventure). Mais son œuvre est toujours basée sur l'histoire de personnages hors norme, et d'une certaine façon, mis au banc de la société à cause de leur art.
Burton, artiste lui-même exposé, comprend ce qu'est l'art marginal, et s'interroge sur les raisons pour lesquelles l'art doit être toujours légitimé par des critiques. Les portraits de Margaret détonnent dans l'expressionnisme abstrait en vogue dans le paysage artistique de l'époque. Ses portraits d'enfants stylisés, figuratifs et romantiques, font tache dans le monde artistique des années 1950-60 que Burton montre comme prétentieux et se prenant au sérieux. Le film pose d'ailleurs la question "qu'est-ce que l'art ?". Il est très subjectif. Qui sommes-nous pour juger de ce qui est un chef d'œuvre ou non ? Un débat que le cinéaste initie dès les premières images du film, en montrant l'impression de centaines de posters de peinture reproduits à la chaîne, comme autant de morceaux sans âme du véritable tableau, dispersé au vent pour de l'argent. Débat qui se joue ici-même puisque je me permets de critiquer une œuvre…
L'histoire de Margaret rejoint celle d'Ed Wood (aussi réalisé par Burton), celui qu'on a surnommé le pire réalisateur de Hollywood. Un personnage dont la plupart des gens se moquait, mais dont la passion démontrait que son art n'était pas une plaisanterie. Le scénario et la caméra se concentrent ensuite sur l'artiste plus que sur son art. Rejetée par les galeries et les critiques, Margaret se cache derrière le bagou de son mari manipulateur, qui révolutionne le monde de l'art en inventant le marketing de masse. Et pour autant, elle incarne les prémices du mouvement féministe. Mère au foyer aux petits soins pour son mari, elle se transforme au fur et à mesure en artiste épanouie, comme ses toiles passant de la noirceur de la mélancolie à la luminosité des couleurs.
Derrière ses premières toiles étranges, on retrouve évidemment l'univers du cinéaste. Et le film prend une dimension d'auto-portrait délicat et mélancolique, le réalisateur des laissés-pour-compte ayant été lui-même rejeté pour son anticonformisme. Mais cette singularité si propre à Tim Burton n'est présente nulle part (ou presque) dans le film. On s'attend à ce que le réalisateur y mette sa patte fantaisiste, son grain de folie et son esthétique unique. Mais à part une tentative (râtée) dans une scène de supermarché (où les clients et caissières ont subitement de gros yeux dans le regard de Margaret), Big Eyes manque de cette étincelle qui nous plaît tant chez l'artiste.
Ses images pimpantes servent à fabriquer un plaidoyer féministe égratignant au passage la misogynie ambiante de l'époque, porté par les prestations inégales d'Amy Adams et de Christoph Waltz. Si la première joue une femme à la fois naïve et déterminée avec retenue et finesse, le second est en roue libre, un poil dans l'excès, interprétant un mari bavard et manipulateur qui nourrit son ego en diminuant les sentiments de son épouse. Le côté démesurément extraverti sert le personnage de Walter (et fait souvent sourire), mais il a tendance à écraser un peu sa partenaire. Résultat, quand on voit Margaret prendre le dessus et répliquer, on prend un plaisir fou à (re)devenir un temps soit peu féministe.
En résumé : Tim Burton brosse le portrait du milieu de l'art sur fond de révolution féministe, avec un classicisme qu'on ne lui avait pas vu depuis très longtemps.