De Denis Villeneuve
Avec Hugh Jackman, Jake Gyllenhaal, Terrence Howard, Viola Davis, Maria Bello…
Sortie le 9 octobre 2013
Dans une banlieue très classe moyenne de Boston, deux familles voisines passent le jour de Thanksgiving ensemble. Tout va bien jusqu'à ce que les deux plus jeunes filles des deux couples, Anna et Joy, disparaissent. Le détective Loki est alors chargé de l'affaire. Regroupant de maigres indices, ses recherches s'orientent vers la piste de l'enlèvement. Le suspect numéro un est arrêté puis relâché faute de preuves suffisantes, déclenchant la fureur du père d'Anna. Aveuglé par la douleur et la colère, ce dernier devient obsédé par l'idée que le suspect relâché est forcément l'auteur des faits. Entre religion et folie, il perd petit à petit ses valeurs humaines. Les autres parents se retrouvent face à un dilemme : attendre que la police fasse son travail au risque qu'elle arrive trop tard ou suivre ce père vengeur et commettre l'irréparable...
Une histoire à glacer les sangs de tous parents ! Et pourtant, nous aurions pu ne jamais voir Prisoners... Le scénario original d'Aaron Guzikowski est longtemps resté aux oubliettes, estampillé "black listed", la fameuse "liste noire" des meilleurs scripts impossibles à produire pour le moment. Puis ont valsé de nombreux réalisateurs et d'acteurs attachés au film une fois lancé, de Bryan Singer (probablement attiré par les figures du Mal) à Antoine Fuqua (pour son côté justice rendue soi-même). Mais c'est l'improbable québécois Denis Villeneuve (Incendie) qui s'y est collé, pour son tout premier film américain.
Prisoners est un thriller noir, intense, autant dans le fond que dans la forme, laissant place à un éventail d'émotions que Villeneuve explore lentement, en les laissant vivre jusqu'au bout. Tous les personnages, comme prisonniers d'un cycle de violence, sont affectés par une douleur qui leur est propre, renforcée par le poids de la tragédie qu'ils sont en train de vivre. Villeneuve décortique le lent processus de destruction des parents, mais il ne joue pas dans l'effusion des sentiments. Il ne fait pas dans le spectaculaire. Au contraire, son intrigue dense et (presque) imprévisible est amenée avec une précision chirurgicale.
Peut-on se faire justice soi-même ?
Prisonners traite de la fascination pour le Mal, le fanatisme sous toutes ses formes (surtout religieux), de la complexité des apparences et de la difficulté à ne pas juger malgré des éléments qui accablent. Tout repose sur une ambiguïté morale : "doit-on faire justice soi-même ?" et "Jusqu'où peut-on aller ?". Une référence claire à cette Amérique post-attentats du 11 septembre, où la culpabilité du survivant, la paranoïa et se faire justice résonnent comme une chape de plomb morale. Les prises de positions du film s’avèrent finalement assez peu risquées. On reste constamment dans un entre-deux (le Bien/le Mal, l’émotion/la morale, la figure autoritaire/paternelle…) plutôt confortable.
Et pourtant, la mise en scène est idéale : elle joue sur la proximité pour créer de l'empathie chez le spectateur, tout en lui laissant une certaine distance pour osciller entre plusieurs réflexions. La tension psychologique, et même physique, qui s'installe peu à peu donne à l'ensemble une impression de fin du monde, un engrenage qu'il est impossible à arrêter. Le scénario distille des info avec une retenue folle, alternant passages dialogués et rebondissements. Mais à force de vouloir densifier l'intrigue, et de jouer sur les indices (cousus de fil blanc), on finit par perdre la distance émotionnelle créée au début, laissant le spectateur se poser des questions sur ce qu'il ferait dans ces cas-là. Mais le film ne donne évidemment pas de réponses...
Un casting en béton armé
La mise en scène se veut classique, élégante et efficace (merci à la photo hivernale et glaçante de Roger Deakins, ayant officié sur Skyfall, Fargo et Les Évadés), à grands renforts de flashbacks. Le but n'est pas tant de surprendre le spectateur -- qui aura vite fait de réunir les preuves avant les personnages eux-mêmes -- mais d'évoluer dans le labyrinthe émotionnel de chacun, voulant résoudre cette situation. On peut regretter que le récit s'étire un peu trop en longueur à force d'intrigues à tiroirs et de fausses pistes inutiles (à la limite de tomber dans le film de serial killer classique). Résultat : toute la toile patiemment tissée pour instaurer l'ambiguité morale du film finit par être embrouillée sans raison, servant une fin dont la noirceur s'efface au profit d'une production banale.
Une construction qu'on oubliera face à l'interprétation de Hugh Jackman. Loin sont les X-Men et Wolverine, l'ex-boxeur/entraîneur de robots de combat (Real Steal) ou encore le cow-boy amoureux d'une aristocrate (Australia) ! L'acteur australien signe ici l'une des meilleures -- si ce n'est LA meilleure -- performance de sa vie : il est plus que convaincant dans ce rôle de père à la fois héros et le pire des salopards, victime de sa colère aggravée par sa foi extrême. Face à lui, Jake Gyllenhaal n'est pas en reste. En incarnant ce flic taciturne et obsessionnel, au passé qu'on devine douloureux, il révèle une face sombre et une intensité qu'on voit malheureusement trop rarement chez lui. Et Paul Dano (toujours aussi génial) se glisse avec une facilité déconcertante dans le rôle du présumé coupable, un jeune adulte n'ayant pas toutes ses facultés. Un casting flamboyant !
En résumé : Un excellent thriller bien ficelé, d'une classe extra-ordinaire, joué par un casting brillant. Dommage qu'il nous balade un peu, traînant en longueur sur quelques scènes, pour aboutir à une fin qui rabaisse le niveau de l'ensemble.