De Stephen Daldry
Avec Tom Hanks, Sandra Bullock, Tom Horn, Viola Davis, Max Von Sydow…
Pour sa quatrième réalisation, Stephen Daldry (Billy Elliott, The Hours, The Reader pour lesquels il a été cité trois fois à l'Oscar) nous plonge dans l'adaptation du roman Extrêmement fort et incroyablement près de Jonathan Safran Foer. Ce roman est la première fiction majeure sur la détresse des familles touchées par les attentats du 11 septembre 2001. Il y décrit comment l'imaginaire d'un enfant peut lui permettre de surmonter ses angoisses terrifiantes et la pertes d'êtres chers au moment où il doit faire face à des événements qui ne semblent pas s'enchaîner logiquement.
Dans le film éponyme, Daldry reprend ainsi la narration subjective, à travers le point de vue d'Oskar, 9 ans. Cette façon de raconter l'histoire, qui se déploie à la manière d'une imagination enfantine, fait s'entrecroiser des réflexions en tous genres, des souvenirs fulgurants, des idées spontanées, des fantasmes chargés d'une puissance émotionnelle forte alors que la vie d'Oskar et des siens est bouleversée à jamais, et fait basculer l'ordre des choses.
Oskar (Thomas Horn), 9 ans, n'est pas un petit garçon comme les autres : son imagination est débordante et sa curiosité est insatiable. Son intelligence hors du commun et son comportement obsessionnel et excentrique font soupçonner un syndrome d'Asperger, jamais vraiment diagnostiquer. Encouragé à développer son sens de la déduction et à s'ouvrir au monde malgré son inadaptation sociale, son père (Tom Hanks) le met sans arrêt au défi de résoudre des énigmes sous forme de "missions de reconnaissance". Mais le 11 septembre 2001, Oskar est à l'école et est renvoyé chez lui, sans explication. Une fois à la maison, il entend son père sur le répondeur, piégé au sommet d'une des tours du World Trade Center... Un an après la mort de son père, Oskar découvre une mystérieuse clé dans les affaires de son paternel, avec pour tout indice le mot "black" sur l'enveloppe dans laquelle se trouvait la clé. L'enfant se donne alors pour mission de trouver à quoi correspond celle-ci, sans en parler à sa mère (Sandra Bullock), absente car rongée par le chagrin. C'est ainsi qu'il concocte un plan méticuleux visant à rencontrer les 472 personnes nommées Black se trouvant dans l'annuaire de la ville, quitte à y passer près de trois ans (selon ses calculs). C'est avec détermination et méthode (et quelques règles, comme ne pas prendre le métro où un attentat peut survenir) qu'Oskar va sillonner la ville.
Eric Roth a eu le difficile rôle de l'adaptation du roman qui enchevêtre plusieurs thématiques : le traumatisme individuel et national, l'étrangeté de l'enfance, la nature de la tragédie et la force de l'amour qui survit malgré les drames familiaux... le tout avec élégance. Le scénariste a abordé ces sujets sous l'angle bien particulier de la relation presque fusionnelle qu'entretient Oskar avec son père, et de ses souvenirs partagés avec lui, teintés de subjectivité et déformés par des émotions et des questionnements enfantins. "Pourquoi lui ?" Car Oskar veut trouver à tout prix une logique à ce qu'il a vécu et ce qu'il est en train de vivre. Son père, avec qui il partageait la plupart de ses centres d'intérêt, lui offrait une sécurité, lui qui vit dans des angoisses permanentes. Du coup, lorsqu'il trouve la clé, Oskar est persuadé qu'elle doit livrer un secret. Et cette découverte l'entraîne dans une aventure qui lui permettra de surmonter son chagrin et d'accepter ses peurs, sans pour autant trouver d'explication rationnelles aux choses.
Lors de son périple, Oskar fait la connaissance d'Abby (Viola Davis, nommée à l'Oscar pour La Couleur des sentiments), émouvante en femme délaissée par son mari. Il rencontre aussi un vieil homme au lourd passé (Max von Sydow, cité à l'Oscar pour le Meilleur second rôle). Locataire d'une chambre chez sa grand-mère et muet depuis des années, il accepte malgré lui d'accompagner l'enfant, telle une figure paternelle rassurante. L'un fuit son passé, l'autre le cherche. Les deux personnages que tout oppose forme un duo attachant, avec un Max von Sydow (Shutter Island) épatant, qui amène son lot de leçons de vie et des pointes d'humour discrètes mais savoureuses.
Habitué aux drames, Stephen Daldry connaît parfaitement toutes les ficelles pour tirer les larmes aux spectateurs. Et, il faut bien l'avouer, il n'y va pas avec le dos de la cuillère au cours du long-métrage, à grand renfort de violons et cuivres harmonisés par l'infatigable Alexandre Desplat (Harry Potter et les reliques de la mort, Le Discours d'un roi, Fantastic Mr Fox, De battre mon cœur s'est arrêté, Un Prophète, Tree of life...). Les allergiques au mélo passeront donc leur chemin. Pour les autres, Extrêmement fort et incroyablement près n'est pas non plus qu'un flot de larmes en continu. Loin de là ! Le spectateur le plus attentionné sera sûrement sensible au jeu plein de candeur enfantine livrée par le jeune Thomas Horn. Parfois irritant avec sa logorrhée impressionnante (et parfois superflue), il est finalement un enfant comme les autres, pour qui le jeu est un moyen de le maintenir dans un univers de son âge malgré des préoccupations d'adultes. Il impressionne aussi par sa grande maturité lors de passages très durs joués avec Sandra Bullock. L'actrice, pour une fois tout en retenue, fait preuve d'un vrai charme et une envergure toute en finesse dans ce rôle de femme murée dans sa propre détresse, et qui communique avec Oskar d'une manière dont il n'est pas conscient. On notera qu'il fait bon voir (même très peu) un Tom Hanks déridé et drolatique en papa prêt à tout pour amuser son fils.
Le réalisateur britannique s'est étonné, lors du festival de Berlin, que le cinéma se soit si peu exprimé depuis 2001 sur ces attaques suicides contre New York et Washington qui ont fait près de 3 000 morts et déclenché les offensives occidentales en Afghanistan puis en Irak. Après les films catastrophe d'Oliver Stone (World trade Center) et de Paul Greengrass (Vol 93), Extrêmement fort et incroyablement près s'intéresse moins aux attaques spectaculaires qu'au choc et au chagrin qu'elles ont provoquées chez les Américains. Le réalisateur britannique a insisté sur le fait que la tragédie restait un traumatisme vif à New York (où il vit en partie) et les images de Tom Hanks tombant des tours lui ont valu les feux de la critique.
En résumé : Un film original, fort et touchant mais pas larmoyant, dont certaines scènes resteront en mémoire un moment de par la dureté des propos venant d'un enfant. Un long-métrage (nommé à l'Oscar tout de même) qui confirme que Stephen Daldry a décidément le don de diriger les plus jeunes (après Billy Elliott).