dimanche 28 août 2011

Critique : Detachment : "Noir, c'est noir..." (4/02/12)

DETACHMENT
De Tony Kaye
Avec Adrian Brody, Lucy Liu, Christina Hendricks, Sami Gale, Betty Kaye...


Pour commencer le visionnage de la sélection des films en compétition, voilà un long-métrage qui "met dans l'ambiance" ! (sic) Detachment fait partie des films qui laissent une douceur amère dans la bouche et qui, après réflexion, trouve grâce à nos yeux à force d'optimisme.


C'est l'histoire de Henry Barthes, professeur remplaçant de métier, qui vient d'arriver dans l'un des pires lycées publics du Queens. Violence verbale et physique, un je-m'en-foutisme des élèves qui dépasse les hauteurs de l'Himalaya et la résignation (puis l'abdication) des profs, sont omniprésents. Henry partage ses journées entre ses élèves (dont l'une d'elle est fragile mais qui a des talents photographiques insoupçonnés), son grand-père sénile (qui cache un sombre passé) et une ado qui se prostitue (et qu'Henry veut sauver, bien sûr). Et dans tout cela, le jeune prof se positionne comme le Christ, profondément déchiré par le chaos qui l'entoure et son envie de tout changer pour améliorer les choses.



Le réalisateur, Tony Kaye, est connu pour sa noirceur et son pessimisme latent, voire provocateur. Son film dépeint le système éducatif américain dans tout ce qu'il y a de plus infernal, au sens premier du terme. Detachment ferait de son précédent film American History X presque un film joyeux. C'est dire ! L'école y est vécu comme le cancer de la société qui ronge tous les piliers de cette dernière : la famille dont les parents sont totalement démissionnaires ou hors des réalités, le gouvernement qui, malgré le programme "No child left behind" n'a non seulement pas tenu ses promesses, mais enterre bien profond les dernières volontés du corps enseignant pour une histoire de niveau scolaire insuffisant. Ou encore, les enseignants eux-mêmes qui préfèrent démissionner via répondeur car ils craquent nerveusement, ou prendre des pilules pour enjoliver leur journée ou encore humilier les élèves déjà au plus bas. Et que dire de l'éducation des jeunes à qui on doit rappeler que "l'Holocaust du marketing dans lequel nous vivons apprend aux jeunes filles qu'elles doivent être belle pour être heureuse" n'est pas parole d'évangile, et aux garçons que les filles ne sont pas qu'une "commodité".

Betty Kaye (Meredith)
Sami Gayle (Erica)
Le film n'offre aucune solution. Seulement une fenêtre sur ce monde sans fin, ingrat avec ceux qui se battent pour former les citoyens de demain. Comment faire pour survivre dans un tel chaos ? Comme le titre l'indique, les profs, ces êtres humains doivent maintenir une certaine distance car s'ils s'occupent trop des autres et s'ils s'attachent de trop, ils risquent de mettre leur santé mentale en danger. C'est pourtant dans ce contexte poisseux et repoussant que Henry évolue et décide de changer un minimum, à sa petite mesure, le cours de la vie de ses élève pendant un mois. Lui-même manque d'empathie et de cœur, et pourtant, ses sentiments ressurgissent violemment lorsqu'il s'agit de sa vie et de son passé, lourd comme un fardeau. On comprend à mesure du film qu'il a dû se blinder depuis le plus jeune âge pour ne pas sombrer et en vouloir à la Terre entière. Lorsque il décide de s'occuper d'Erica, une ado prostituée vouée à finir dans le caniveau, c'est une part de lui qu'il abandonne. Et lorsqu'Erica retrouve un semblant de vie normale et commence à porter de l'affection réelle à Henry, il se mure et appelle les services sociaux. Mieux vaut ne pas ressentir que de succomber au risque d'avoir mal. Et Adrien Brody, connu pour faire passer toute la peine du monde rien qu'en faisant bouger ses sourcils, retrouve avec Henry un rôle à la mesure du Pianiste. Malgré toute cette noirceur, Henry arrive malgré lui à insuffler une petite flamme d'espoir fragile lors d'une fin tragique.

James Caan
À son habitude, le style visuel de Tony Kaye nous assure toute la dimension dramatique avec des effets de contraste noir et blanc permanents, des bribes de dessins faits à la craie sur un tableau noir commentant les actions, une série d'images en super 8 couleur sépia pour parler d'événements traumatisants pour Henry... Cet ensemble relevé par le script de Carl Lund, dont le talent réside dans les scènes où les élèves interagissent avec leurs profs. Incendiaires ? Certains diront voyeuristes et sensationnalistes. Ils n'auront pas tort. Mais tellement jouissives lorsqu'il s'agit de celle jouée par l'énorme James Caan (Le Parrain, tout de même!), hilarant en prof avisé qui a tout vu tout entendu et qui avale des pilules comme des cachous mais qui face aux élèves est brillantissime de réparties. Du grand art, trop peu présent à l'écran...

En résumé : Un film qu'il ne faut pas aller voir si on n'a le moral dans les chaussettes. Mais un film qu'il faut voir pour le jeu d'acteurs (Sami Gayle et son visage poupon derrière son masque de fille de joie et Betty Kaye, fille du réalisateur, en jeune fille torturée) et pour son message (si l'on veut jouer les optimistes) : finalement, il vaut mieux s'ouvrir aux autres et risquer les accidents de la vie plutôt que de se renfermer, de ne rien ressentir et risquer de finir aliéné. Deux fois primé à Deauville... rien que cela, ça vaut un petit coup d'oeil.



Nouvelle bande-annonce en VOST pour Detachment par blog-Cineaddict

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