Assise dans un palace parisien, entre deux petits fours et un t-shirt à l'effigie de Stuart... Une rencontre toute en sourires, détente et fun absolue avec les réalisateurs du film Les Minions. Grand écart transatlantique (et de langue pendant l'interview...) entre le plus américain des Frenchies, Pierre Coffin, et le plus fancophone des Américains, Kyle Balda.
Pourquoi avoir choisi de faire chercher aux Minions le plus méchant des méchants ?
Kyle Balda : On a voulu jouer l’ironie autour du fait qu’il n’y a rien de méchant chez les Minions, pas le moindre bout de démon. C’est tout l’opposé, ils cherchent à travailler pour un méchant boss, être acceptés et aimés. On les découvre tous contents quand ils sont avec le T-Rex, l’homme des cavernes, ou les autres méchants de chaque époque. Et quand ils continuent à faire n’importe quoi et qu'ils les perdent les uns après les autres, on les voit tristes, sans plus aucune raison de vivre et tomber dans la déprime.
Pierre Coffin : Les méchants nous éclatent parce qu’on peut tout se permettre, et tout leur faire subir (rire). Et on s’est posé la question de ce qu’on pouvait faire avec Scarlett. On a pensé à Tex Avery, et on s’est demandé si aujourd’hui, il pourrait faire tout ce qu’il a fait. La réponse est non parce qu’il ne pourrait plus faire de blagues racistes, « sexuelles » (comme avec le Petit Chaperon Rouge), ou utiliser la violence (comme taper sur un personnage avec un marteau). Ce ne serait plus possible aujourd’hui. Les chaînes se disent que ça ne peut plus passer à la télé, alors qu’elles montrent des choses bien pire. Et pourtant les Tex Avery font toujours rire. Quand je les montre à mes enfants, ils s'éclatent. Ils préfèrent leur côté transgressif, au courts-métrages tous gentillets de Disney de l'époque. Et pour ça y’a pas d’âge! Avec les Minions, ce qui est chouette, c’est qu’on nous a laissé faire tout ce qu’on voulait. On s’est quand même dit parfois qu’on allait un petit peu trop loin. Comme cette scène où les Minions se font poursuivre dans les rues de Londres par tous les méchants, et Stuart (celui avec un oeil), et est propulsé contre le bide du sumo à cause d'une explosion. En fait, au départ, il se retrouvait dans les fesses du sumo. Bon tout était graphique, il n'y avait rien de dégoutant. Mais quand on a fini la scène, on s’est dit que ça ne pouvait pas passer. Parce qu’il était carrément coincé dans les fesses. Mais je ne vais pas m’étendre sur les détails (rire).
Etait-ce difficile de faire passer les émotions sans avoir recours aux répliques traditionnelles ?
Pierre Coffin : Cela a été un challenge, surtout sur la durée (1h30). J’ai complètement sous-estimé la chose ,en fait. Ce n’est pas seulement qu'une question de mots. C’est un mélange de plein de choses pour qu’on arrive à les comprendre : la gestuelle mais aussi la petite mélodie de la voix, qui vous dit s’il est fâché, heureux, envieux… Bon, les mots sont ridicules. Ils sont chopés par ci, par là, pris au hasard en fonction de la situation, mais surtout en fonction de leur mélodie de la phrase. Je m’en suis rendu compte sur le 2e Moi moche et méchant. Cette fois, j’ai été obligé d'écrire tous leurs "dialogues" pour pouvoir construire un langage. Au départ, j’improvisais mais je peinais au bout d’un moment. Et le fait de répéter 10 000 fois la même phrase, au bout d’un moment, c’est lassant. Donc ce langage m’a permis de placer des mots de mes copains, et de plein de pays différents en fonction de leur sonorité. J’avais une bonne excuse sur ce film car on voit les Minions depuis leur création servir des méchants de par le monde, à travers différentes époques. Ils ont ainsi assimilé plusieurs langages et ont créé le leur.
Kyle Balda : Charlie Chaplin et Peter Sellers. Ce dernier avait quelques parties parlées mais la plupart de ses scènes étaient de la pure comédie de situation et gestuelle. Ce que Chaplin avait compris d'essentiel, c’était que le public devait être capable de suivre ce que le personnage pensait et ressentait à chaque geste. Et en ce qui concerne des personnages animés, c’est encore plus vrai, car ils ne sont pas « vivants ». S’ils ne bougent pas, on voit qu’il n’y a pas de vie en eux, on ne ressent rien en les regardant. Et c’est en entrant en empathie, en s’identifiant à eux, qu’on peut comprendre que tel geste veut dire telle chose. Et on a créé des mouvements bien précis pour chaque personnage. Chacun à sa façon de bouger : Stuart est minimaliste et fainéant, alors que Bob est électrique et lumineux, donc il bouge tout le temps.
Mais... le plus méchant des méchants est une femme !
Kyle Balda : Encore une fois on a joué sur l’ironie. Les Minions cherchent le plus grand méchant de tous les temps, et il se trouve que dans les années 1960, ils trouvent l’excellence dans ce domaine chez Scarlett. Alors qu'à cette période là, les femmes étaient plutôt des ménagères, dans la cuisine, à s’occuper des enfants, et attendre que le mari ramène les sous à la maison… On trouvait ironique que dans ce monde de vilains (qui est très sympathique par ailleurs : il y a la famille qui les prend en stop et qui s’avère être des criminels mais bon…), Scarlett et Herb soient bizarres. Mais en même temps, très en avance sur leur temps. Le couple que Scarlett forme avec son mari Herb est moderne : lui reste à la maison et c’est elle qui bosse. Et finalement, ils se complètent bien puisqu’ils s’entraident.
Kyle Balda : On voulait faire une histoire qui se passe avant l’arrivée de Gru, donc il fallait qu’on remonte dans le temps. Les années 1960 sont une époque fantastique car tout, le décor, les accessoires, la mode, et la musique — choisir les chansons a été très fun — tout est très riche et reconnaissable par tout le monde. Mais ce qui m’a le plus plu avec cette époque, c’est qu’il y a tellement de choses bizarres qui arrivent dans le film (cela en devient même absurde...) que de les faire arriver dans une époque révolue, cela permet de faire passer plus de choses. On peut se permettre de croire à tout et de tout accepter comme si on était dans une fable ou un conte de fée.
Dites donc... vous en avez profiter pour vous moquer largement de nos voisins les Anglais...
Pierre Coffin : Ca se voit tant que cela ? (rire) Genre les grandes dents, le thé tout le temps, les chiens korgies… Ma BD préférée est Astérix chez les Bretons parce que justement, elle se permet toutes ces moqueries, de façon plus subtile, certes. On a voulu faire cela à notre niveau en montrant, par exemple, la reine un peu plus fun (genre elle ne ne se laisse par faire, et le soir elle va se boire des coups avec les mecs du pub), parce que si ça se trouve, elle est comme ça ! Et on a essayé de montrer une royauté vivant dans la normalité… on avait plein d’idées comme ça. Et puis le swing sixties, ça nous permettait de faire un contraste avec New York du début du film. Quand Bryan Lynch (le scénariste) nous a pitché cette idée, on s’est dit que c’était un film d’époque. Alors on a essayé de trouver de quoi rendre l’idée plus marrante (même si l’idée d’Abbey Road n’est pas la meilleure, puisqu’on doit être les 150 000e à avoir fait la même blague mais bon….(rire).
Tous les méchants veulent en général conquérir le monde. Pourquoi cette fois-ci, ils se contentent de la couronne de la reine d'Angleterre ?
Kyle Balda : L’idée était de construire un passé pour le personnage de Scarlett. Cela aurait fini par être trop long à montrer, donc on a tout condensé dans cette petite histoire qu’on lui raconte avant de s’endormir. Là, on comprend que, déjà toute petite, elle voulait être une princesse, parce qu’elle voulait que l’attention soit sur elle, être aimée, et avoir tout ce qu’elle n’a pas pu avoir quand elle était petite. Donc d’être princesse à avoir la couronne, il n’y avait qu’un pas. Et quand on pense couronne en tant qu’Européen, on pense d’abord à la reine d’Angleterre.
Si vous aviez à voler quelque chose, que choisiriez-vous ?
Pierre Coffin : Ah au secours ! J'en sais rien... je ne sais jamais répondre à ce genre de question...
Kyle Balda : Le télescope Hubble. J’aime l’idée de pouvoir regarder partout, où je veux, tout le temps. Mais je le garderais pointer vers l’espace quand même… (rire)
Pierre Coffin : Moi je ne sais vraiment pas… j’aimerais trouver quelque chose qui pourrait embêter le plus de gens, mais je ne trouve pas là tout de suite...