De Alex Garland
Avec Domhnall Gleeson, Alicia Vikander, Oscar Isaac, Sonoya Mizuno
Sortie le 3 juin 2015
Caleb est un jeune programmeur informatique brillant au sein de l'entreprise BlueBook, le plus important moteur de recherche Internet au monde. Il participe à un concours pour gagner une semaine à la montagne, au côté de Nathan, le grand patron. Contre toute attente, il gagne et s'envole pour un lieu isolé de toute habitation et d'autres vies humaine que celle de Nathan et de sa silencieuse assistante. Caleb va découvrir un nouveau monde, auquel il va devoir participer à travers une expérience troublante : entrer en contact et interagir avec une nouvelle forme d'intelligence artificielle, apparaissant sous les traits d'une jolie jeune femme prénommée Ava…
L'intelligence artificielle fascine le cinéma depuis des lustres. Qu'elle soit sous les traits de Jude Law dans A.I Intelligence Artificielle chez Spielberg, des robots tueurs dans Terminator 2 ou adorable dans L'Homme Centenaire sous les traits du regretté Robin Williams, ou encore une simple voix comme celles de Jarvis dans la saga Iron Man, ou de Scarlett Johansson dans Her. Mais elle est plus souvent montrée comme un risque encouru par l'humanité, comme si les machines prenait sa place, malveillantes et incontrôlables (il n'y a qu'à voir le dernier Avengers : l'Ère d'Ultron). Prix du jury du festival de Gerardmer 2015, Ex Machina s'intéresse davantage à l'émotionnel et à la réflexion : que se passerait-il si nous pouvions inventer une machine qui pense comme nous mais qui ne tombe jamais malade, ne faillit jamais, et capable d'empathie et de montrer des émotions humaines, assez réelles pour semer le doute dans notre (simple ?) esprit humain ? Alex Garland réussit parfaitement à instillé ce doute raisonnable dans l'esprit du spectateur : un robot est-il capable de réellement ressentir et partager des émotions avec un humain ? Si les machines parviennent au même niveau de pensée que nous, devenons-nous superflus ?
Avec la présence d'Ava, le réalisateur suggère que la création d'une intelligence artificielle ne signifie pas nécessairement notre destruction, mais une évolution vers une autre forme d'existence, une forme séduisante de mutation. Alex Garland s'intéresse aussi à ce qui fait de nous des êtres humains, doués de pensée, de conscience face à des humanoïdes, faits de puces et de circuits électriques. Caleb est là pour faire passer à Ava le test de Turing. Il consiste à mettre face à face un humain et un ordinateur, à l'aveugle, et les faire discuter. Si l'homme engage la conversation avec la machine sans qu'il soit informé s'il est en présence d'une machine ou d'un humain, et n'est pas capable de dire si son interlocuteur est une machine ou non, on peut dire que le logiciel a passé le test avec succès. Commence alors pour Caleb un drôle de jeu de questions/réponses pour savoir si Ava est autant une entité pensante et consciente que lui ou non. Débute alors une construction mentale, empathique, émotionnelle entre Caleb et Ava.
Un trio entre mensonges et dissimulations
On assiste à un jeu du chat et de la souris tour à tour cruel et magnifique, un huis clos oppressant et passionnant entre la machine, son créateur et celui qui joue finalement le cobaye. On est happé par le scénario finement manipulateur, coincé entre l'envie de croire à la naissance d'une jolie amitié (et plus ?) entre un jeune homme et une jeune femme de métal et de circuits électroniques, et une sorte d'appréhension sur le dénouement de cette histoire (remplie de surprises… que je vais taire ici) et sur le sort des personnages. Le tout sublimé par une mise en scène appliquée, une photographie quasi sensuelle et des décors intérieurs minimalistes et extérieurs impressionnants (merci la Norvège).
Caleb représente le petit nouveau d'une société qui se fait bousculer par un patron aux pouvoirs illimités et manipulateur, mais qui est fasciné par celui dont le génie n'a aucune limite. Gleeson Domhnall (Harry Potter et les reliques de la mort, Il était temps, Anna Karenine de Joe Wright) sous ses airs vulnérables et innocents, dégage un charme fou, et sa fragilité face à Ava n'en est que plus désarmante. Alicia Vikander (Royal Affairs, Anna Karenine) n'est pas en reste. Sa démarche féline, son aspect spectral, son jeu tout en nuance fait d'elle un personnage fort et surprenant. On se laisse complètement envahir par son humanité. Quant à Oscar Isaac (Inside Llewyn Davis, Drive), il est déstabilisant dans ce rôle de maniaque du contrôle, mégalo, sombre, alcoolique, reclus au milieu de nulle part, mais aussi fun et décalé. Via le personnage de Nathan, Alex Garland se paie le luxe de sabrer avec un humour discret mais efficace la perte de lien social actuel d'une humanité dévouée aux machines. Mais on peut regretter qu'il ait parfois du mal à tenir les articulations de son récit avec des discours parfois un peu métaphysico-prise de tête (même si on se régale tout de même de certaines citations) qui nuisent au rythme de l'ensemble, déjà très lent.
En résumé : un conte d'anticipation contrasté, élégant et d'une grande finesse, dont la lenteur pourra affecter les mordus de blockbusters de science-fiction.