mercredi 22 octobre 2014

[Critique] Favelas : système D dans un monde corrompu (12/11/14)

FAVELAS

De Stephen Daldry
Avec Rickson Tevez, Eduardo Luis, Gabriel Weinstein, Wagner Moura, Selton Mello, Rooney Mara, Martin Sheen

Sortie 12 novembre 2014


Rafael et Gardo sont des gamins de 14 ans, malins et débrouillards, d'un bidonville de Rio de Janeiro. Ils gagnent quelques pièces de monnaie en triant les déchets dans une décharge à ciel ouvert. Pas toujours de quoi s'acheter à manger… Mais lorsqu'un jour, Rafael tombe sur un portefeuille, le duo ne réalisent pas qu'ils détiennent bien plus qu'un morceau de cuir. Son contenu le rend mystérieux : une photo, une bout de papier gribouillés de chiffres et un carton de loto animalier… Quand la police locale débarque, ils n'ont plus de doute : leur vie va changer à jamais. Avec leur ami Rato, le trio décide de cacher ce bien précieux et de recomposer la vie de son propriétaire.


favelas © Universal Pictures International France
Stephen Daldry n'est pas un boulimique en matière de création cinématographique. 5 films en 14 ans, on ne peut pas dire que le Monsieur soit productif. Mais quand il s'y met, ce sont les émotions qui se mettent en ébullition. Que ce soit celles d'un gamin passionné par la danse contre la volonté paternelle dans le sublime Billy Elliot (1999); celles de trois femmes vues à différentes périodes temporelles mais toutes reliées par le roman Virginia Woolf dans le très beau The Hours (1991); celles ressenties par un adolescent sous le charme d'une trentenaire sur fond de littérature dans The Reader (2008); ou encore celles bouleversantes d'un enfant en quête de réponses après la perte de son père dans Extrêmement Fort et Incroyablement près (2011). En tout, 19 nominations aux Oscars et 2 victoires.

favelas © Universal Pictures International FranceAvec Favelas, il renoue dans l'art difficile de la direction d'enfants (et grand bien lui fasse), car cette adaptation du roman d'Andy Mulligan est une petite pépite émotionnelle. Non pas en donnant dans le mielleux ou le romantique, qu'on aurait pu imaginer avec l'implication de Richard Curtis au scénario (Quatre mariages et un enterrement, Coup de foudre à Notting Hill, Love actually, Il était temps…). Mais en réalisant un film rempli de danger, de suspense et de rebondissements, un puzzle dont les pièces éparpillées au départ se mettent petit à petit en place avec créativité et brio.

favelas © Universal Pictures International FranceAvec les bidonvilles de Rio pour cadre, on ne peut s'empêcher à La Cité de Dieu. Daldry a su recréer l'authenticité que requiert ce genre de film avec un tel sujet. Il évite les clichés touristiques et culturels et les images d'Epinal de l'ancienne capitale brésilienne. Grâce à un travail de fourmi, il nous plonge dans cet univers où le langage, le contexte social ou politique sont complètement brésiliens et totalement immersifs. Il montre des quartiers et des communautés qui n'avaient jamais été filmées au cinéma. Le raffinement de la composition de ses cadres révèlent une effervescence permanente de sa créativité.  Les courses-poursuites dans les dédales de la favela sont haletantes, littéralement à couper le souffle. Et jamais on ne sent la lourdeur intolérable de la pauvreté extrême qui ne l'est pas moins. Si les quartiers sont sales, poisseux et sûrement nauséabonds pour nos narines d'Européens aisés, jamais ils ne rebutent. Ses habitants ont un enthousiasme à toute épreuve.

Si l'histoire est redoutablement bien construite, sont contexte n'est finalement que trop banale dans ces milieux pauvres du Brésil : corruption, violence policière, missionnaires de bonne volonté mais démunis, population sans ressource mais finalement heureuse… Et pourtant, il y a un vrai vent de fraîcheur dans ce film. Il flotte un parfum doux amer, mélangeant la vie cabossée de gamins et une aventure plutôt exaltante. On oscille entre cruauté et moments d'enfantillages bon enfant, sans jamais tomber dans les extrêmes tragiques. Bien au contraire ! Daldry en fait une ode à l'espoir et à l'envie de s'en sortir. Certains crieront aux bons sentiments sur la fin… et bien qu'ils râlent ! Ce film fait du bien…
Favelas © Universal Pictures International France favelas © Universal Pictures International FranceTout le charme et l'intérêt réside dans ces jeunes personnages principaux. Après avoir été castés, les enfants (non-professionnels) se sont entraînés pendant des mois, au jeu face caméra, et à toutes formes d'escalade possibles et imaginables. Le résultat est bluffant : les enfants sont d'un naturel épatant, et leur spontanéité intacte. Venant eux-mêmes de milieux extrêmement défavorisés, ils se sont appropriés l'histoire et en ont fait leur jusqu'au bout de leurs bouclettes. Charismatiques, effrontés (juste ce qu'il faut), obstinés…
Favelas © Universal Pictures International France S'ils sont considérés comme des déchets de la société, ce n'est pour autant qu'ils n'ont pas de rêves, d'espoirs. Bien sûr, ils rêvent d'avoir assez d'argent pour se payer de quoi se nourrir, avoir des jeux vidéos, et autre objets de notre société de consommation. Mais finalement, ils changent notre perception des choses. En un sens, ils nous montrent qu'il est possible de trouver un certain bonheur en regardant la vie autrement. 
L'opiniâtreté de Rafael frôle l'obstination d'un sale gamin qui n'en fait toujours qu'à sa tête, histoire de ne pas faire ce qu'on lui dit. Et pourtant, il n'a rien d'un "sale gosse". C'est un dur à cuire qui se bat pour sa vie et contre un système qui le dépasse complètement, car il est trop jeune pour le comprendre. Gardo, son attitude face à la vie mélange la dureté physique à une raideur morale implaccable. Quant à Rato, ce petit bout malingre, aux yeux innocents… on lui donnerait le bon dieu sans confession… et nos bras pour le protéger et le réconforter ! 
En face d'eux, les seconds rôles (Martin Sheen et Rooney Mara) font parfois un peu pâles figures, sans réelles implications émotionnelles, malgré leur renommée. Doit-on voir là un problème d'écriture ou une volonté de renforcer la valeur de l'innocence de l'enfance ?

En résumé : une aventure palpitante et réjouissante malgré un contexte social peu avenant, avec des personnages principaux très attachants, et réellement brillants pour leur jeune âge et leur inexpérience. Un vrai régal !

jeudi 16 octobre 2014

[Critique] La légende de Manolo : Une fiesta visuelle et émotionnelle (22/10/14)

La legende de Manolo © 20th Century Fox
LA LEGENDE DE MANOLO 

De Jorge Gutierrez
Avec les voix de Zoe Saldana, Channing Tatum, Diego Luna, Ice Cube…

Sortie le 22 octobre 2014

Il était une fois… une légende mexicaine perpétrée depuis la nuit des temps. Le jour de la Fête des morts, l'une des plus importantes d'Amérique du sud et du Mexique en particulier, les esprits passent d'un monde à l'autre. Dans le village de San Angel, Manolo, Joaquin et Maria sont les meilleurs amis du monde depuis qu'ils sont tous petits. Mais leur relation a pris fin lorsque Maria est envoyée en Europe pour y apprendre les bonnes manières car son père la trouve trop rebelle. Pendant ce temps, Joaquin rejoint les rangs de l'armée et devient le justicier invincible (ou presque), tandis que Manolo apprend le métier de torero, comme le veut la tradition familiale ancestrale. La demoiselle revient et les ses deux prétendants vont tout mettre en oeuvre pour la conquérir. C'est le jour de la Fête des morts que le couple de divinités la Muerte et son mari Xibalba font un pari aux enjeux des plus élevés : savoir qui régnera sur le monde merveilleux des Âmes Chéries (non oubliées), que la Muerte dirige avec félicité jusqu'à présent.




La legende de Manolo © 20th Century FoxLa légende de Manolo s'impose comme un ovni dans le petit monde de l'animation, tout en contradictions. Pour contenter les bout d'choux, l'histoire est plutôt simple, les messages clairs et déjà entendus des centaines de fois (sois toi-même pour y arriver, affronte tes peurs, rebelle-toi contre l'avenir que tes parents t'ont tracé sans te demander ton avis, "t'inquiète, tes parents seront toujours fiers de toi quoique tu fasses"…). Mais Jorge Gutierrez a trouvé une façon de le dire diablement efficace :  dans un univers remplie de dingueries, avec pour toile de fond un contexte et une tradition peu ou mal connue du grand public non-Mexicain et terriblement adulte ! Comment expliquer aux tous petits sans devenir morbide que, selon les croyances mexicaines, il existe un monde où les âmes des proches disparus vivent encore car on pensent à eux ?! Fastoche ! Gutierrez nous emballe ça dans un monde chaleureux, coloré, festif, réjouissant. Un univers qu'on a déjà vu chez Tim Burton dans Les Noces Funèbres, où le monde des morts est plus joyeux et coloré que celui des vivants. Mais passons... L'humour est partout, tant dans des petits animaux farfelus que dans des personnages décalés mais toujours en rapport avec la magie du thème principal. 

La legende de Manolo © 20th Century FoxCe que propose Jorge Gutierez est loin de l'imagerie consensuel et du lissé habituels présentés par les grands studios leaders du genre (même si on se laisse fasciner par les prouesses techniques de Disney Pixar et autre Dreamworks). Dans La Légende de Manolo, la magie est partout et ne paraît pas anormale. Tout parait assemblé de bric et de broc, pour un résultat composite un peu barré, où les personnages ressemblent à des marionnettes de bois (aurait-il voulu faire son long-métrage en stop-motion au départ ?), aux proportions surréalistes. Les adeptes d'art pictural retrouveront les multiples influences des grands peintres et sculpteurs tels que Botero, Picasso, Dali, Goya, et les Mexicains (évidemment) Diego Rivera et Frida Kalho. On sent que le réalisateur aime l'art mexicain et veut le faire partager, parfois même de façon détournée, avec un humour qui fait mouche, comme ces reprises latinas improbables de "Creep" de Radiohead ou encore de Rod Stewart. On se régale !

La legende de Manolo © 20th Century FoxLe scénario défile, les gags s'enchaînent et les situations se dénouent de façon un peu trop évidente, mais qu'importe. Le plaisir est là. Seuls quelques thèmes sont sous développés. Si l'histoire amoureuse n'est finalement qu'un prétexte (et ça n'est pas plus mal), on aurait pu voir approfondir le territoire émotionnel de la perte d'un proche, ou encore le poids des attentes de ses parents, trop vaguement exploré. Thème que le grand Guillermo del Toro, producteur du film, connaît parfaitement, lui, qui a traité de la mortalité et des cauchemars à de nombreuses reprises. Reste que les visuels nous embarquent en un clin d'œil, les personnages sont attachants, et on découvre une culture bien peu représentée dans une industrie qui se veut fédératrice et prudente.

En résumé : un vrai feu d'artifice visuel original, et un tas de références finalement plutôt à destination des adultes. Mais les enfants rigoleront aussi grâce aux personnages hauts en couleur.

               

samedi 4 octobre 2014

[Critique] Horns : Diablement audacieux (01/10/14)

HORNS 


D'Alexandre Aja
Avec Daniel Radcliffe, Juno Temple, Max Minghella, Joe Anderson...

Ig Parish est accusé du meurtre de sa petite amie Merrin. Seul contre tous, mais un atout original dans la poche, où plutôt sur la tête : des cornes. Cadeau du ciel ou poison de l'Enfer, celles-ci obligent tous ceux qui lui parlent à lui dire leurs secrets les plus inavouables. Il va se servir de ce nouveau "pouvoir" pour trouver le véritable assassin de l'amour de sa vie.



"Il faut choisir le péché avec lequel on peut vivre"


Avec Horns, Alexandra Aja et Daniel Radcliffe sortent de leur zone de confort. L'acteur a définitivement remisé au placard le costume du magicien pour devenu un acteur à part entière. Il n'hésite pas à casser son image de jeune premier en devenant un alcoolique patenté, prêt au mal pour faire sortir la vérité. Quant au réalisateur, connu pour ses films horrifiques ou grand-guignolesques, il essaie une nouvelle approche pour son 6e long-métrage. Le résultat ? Un conte fantastique  hybride mélangeant de nombreux registres, qui vont du thriller à la satire, du tragique à la comédie romantique, sans oublier la cruauté avec sa patte trash. Cette drôle de mixture donne à Horns une imagerie audacieuse, une identité marquée et bien à lui, qui démarre dès les premiers plans. Mais si les scènes s'enchaînent sans que le spectateur sache vraiment où il va et ce qui va en ressortir, la réalisation s'assagit peu à peu pour devenir plus classique. Il réussit tout de même à créer un climat entre réalisme et fantastique, avec une imagerie tantôt conte de fée symbolique, tantôt Amérique profonde.
Intéressant et déroutant tout de même car cette variété de registres, si elle est souvent jouissive et drôle, elle a tendance à neutraliser les intentions dramatiques de départ d'une même scène. Ce trip satanique se dilue dans un scénario finalement trop sage et au final un peu longuet. Pourquoi ? Trop d'explications, trop de prévisibilité, l'humour sardonique s'évapore, et le pouvoir d'Ig devient plus terre à terre et les symboles religieux plus lourdingues. Aja n'aurait-il plus fait confiance au lyrisme de son sujet jusqu'au bout ? 

Adapté d'un roman du fils de Stephen King, Horns ne dépeint pas le parcours habituel d'un homme dévoré par la peine, voulant se venger après avoir trouvé le coupable de la mort de sa bien-aimée. Il va bien au-delà. Jouant avec les symboles divins (parfois de façon trop didactique d'ailleurs), Aja ne propose pas à son personnage principal de devenir un justicier héroïque, d'avoir le beau rôle à la fin. On le sait, les méchants ne gagnent jamais. Ig ne pactise pas non plus avec le Diable, mais il prend conscience que s'il ne se dresse pas contre l'injustice qui l'accable, son âme sera perdu à jamais. Et tant pis s'il doit devenir le pire des pêcheurs pour s'en sortir. Le film s'ouvre d'ailleurs sur une citation du Paradis Perdu de Milton, "Réveillez-vous, levez-vous ou soyez pour l'éternité déchus". Un enjeu dramatique exposé dès les premières images, avec pour bande sonore Heroes de David Bowie. Daniel Radcliffe y apparaît plus mâle (Malin ?) et viril (et sexy ?) que jamais, sans oublier de garder son regard mélancolique d'homme sur qui le ciel vient de tomber. 

Radcliffe livre ici une prestation remarquable, entre rage et tendresse. Son duo avec Juno Temple est plus qu'une évidence à l'écran et fait vibrer le spectateur le plus endurci. Et le voir se transformer en monstre furieux et implacable lui rend enfin justice face aux critiques qui ne le disaient pas véritablement acteur. J'avoue, j'étais de ceux-là. Il n'y a que les idiots qui ne changent pas d'avis !

En résumé : Bonne surprise. Bon trip. Un peu brouillon mais on se laisse avoir. A regarder avec un esprit ouvert à toutes les possibilités. 


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